© Pierre Grobois
ƒƒƒ article de Toulouse
Figure fondatrice de la voix lyrique, le mythe d’Orphée nous offre la lecture d’un palimpseste opératique. Ici, le génie orchestral de Raphaël Pichon et de l’ensemble Pygmalion s’empare de la version de Berlioz, qui synthétise la composition italienne et française de l’opéra de Gluck, pour nous dévoiler un drame où la tragédie amoureuse se resserre.
L’interprétation musicale qu’en fait Pichon est d’une subtilité rare, laissant vivre l’épaisseur des silences, qui souvent en disent bien plus sur l’âme humaine que la splendeur de cette musique. Les registres demeurent nombreux et voltigent avec maîtrise, les voix sont magnifiques. On saluera notamment la force spectaculaire du chœur dans cette opéra et l’excellente Marianne Crebassa, qui déjà était travestie dans sa brillante interprétation de Fantasio (dans la mise en scène de Thomas Jolly), et qui endosse à nouveau à merveille le rôle du soprano castrat.
La lecture qu’en fait Aurélien Bory reste la dernière touche de maître, qui propulse au sommet de la splendeur cet opéra. Chef d’orchestre de l’espace et de la représentation, il ne cesse de jouer avec notre perception et dédouble le regard de la scène et de la salle, pour en tirer des images d’une beauté sans nom. Avec son dispositif scénographique – sorte de mirage mobile en plusieurs dimensions, qui rivalise contre toutes nos logiques optiques – Bory propose une porte qui s’ouvre sur les sombres mystères des passions humaines, et il nous tend un miroir sur la mort. Il dresse un portrait des enfers proche de notre monde, cependant totalement transparent et désincarné, et vient ressusciter des images chtoniennes et infernales où des spectres viennent flotter et se lamenter sur scène. On se prend au jeu avec la candeur d’un enfant, car il y a dans l’interprétation de Bory une réelle magie qui opère. Amoureux du corps, du cirque, et des lois qui régissent l’espace, il déplace dans son dispositif les lignes et les perspectives attendues, nous fait perdre toutes sortes de repères, pour mieux nous faire basculer dans les abysses du monde des morts, et faire l’expérience sensible d’un trou noir. Le temps est suspendu, on reste accroché à l’orchestre, aux voix splendides de cette distribution haute en couleurs, et à l’intelligence des images qui se joue sous nos yeux.
Cette alliance artistique frise la perfection et fait de cette version d’Orphée un délicieux chef d’œuvre.
© Stefan Brion
Orphée et Eurydice, de Christoph Willibald Gluck
Livret français de Pierre-Louis Moline
Version remaniée par Hector Berlioz
Direction musicale Raphaël Pichon
Mise en scène et décors Aurélien Bory
Dramaturge Taïcyr Fadel
Décors Pierre Dequivre
Costumes Manuela Agnesini
Lumières Arno Veyrat
Assistante Costumes Claire Schwartz
Chef de chant Alain Muller
Avec Marianne Crebassa (Orphée), Hélène Guilmette (Eurydice), Lea Desandre (Amur)
Danseurs / circassiens Claire Carpentier, Elodie Chan, Yannis François, Tommy Entresangle, Margherita Mischitelli, Charlotte Siepiora
Chœur et orchestre Ensemble Pygmalion
Du 12 au 24 octobre 2018 à 20h
Durée 1h40 sans entracte
Réservations au 01 70 23 01 31
Théâtre National de l’Opéra-Comique
Place Boieldieu
75002 Paris
Métro Richelieu-Drouot (lignes 8 et 9) ou Quatre-Septembre (ligne 3)
RER Auber (RER A)
Bus 20, 27, 39, 48, 67, 74, 85, 95
https://www.opera-comique.com
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