À l'affiche, Critiques // Kasane/Narukami, Grand Kabuki, Compagnie Shochiku, Théâtre National de la Danse / Japonisme / Festival d’Automne à Paris

Kasane/Narukami, Grand Kabuki, Compagnie Shochiku, Théâtre National de la Danse / Japonisme / Festival d’Automne à Paris

Sep 17, 2018 | Commentaires fermés sur Kasane/Narukami, Grand Kabuki, Compagnie Shochiku, Théâtre National de la Danse / Japonisme / Festival d’Automne à Paris

 

 

© Shochiku Co., Ltd

 

ƒƒƒ article de Denis Sanglard

 

Le Théâtre National de la danse de Chaillot accueille deux pièces emblématiques de Kabuki par la compagnie Shochiku jouées par deux des plus grands interprètes de ce répertoire. Narukami et Kasane interprétées par Nakamura Shido II et Nakamura Shichinosuké II. Le Kabuki, dont l’origine remonte à 1629, danse raffinée des courtisanes remplacées bientôt par l’onnagata, acteur travesti, est très vite devenu un genre théâtral singulier et populaire. Kabuki, trois idéogrammes qui enlacent le chant, la danse et le jeu. Un jeu raffiné, codifié, entre théâtre, pantomime et chant. Avec un des fondamentaux l’Aragoto, le style « rude », mis au point par Danjuro I, auteur de Narukami à la fin du 17ème siècle. Un style impétueux, voire grotesque, exagéré, dans la démesure du personnage incarné, guerrier ou démon dont Yoemon, le héros de Narukami, en est l’exemple. Et une des caractéristiques populaires, attendue des spectateurs, le mie, un arrêt du mouvement au moment le plus dramatique. Les hommes se substituèrent aux courtisanes. Mais les onnagatas n’incarnent pas la femme, il la stylise. C’est une construction mentale dont les kata sont les signes. La féminité pour reprendre Barthes (in L’empire des signes) est donné à lire non à voir. Et c’est dans la maîtrise et le dépassement du signe qu’éclate tout le talent de l’acteur. Pose exagérée, oui, mais d’une grâce infinie, fluidité du mouvement, corps parfois au bord de la rupture, du déséquilibre, proche en cela d’une poupée de bunraku. L’ondulation de la colonne vertébrale, cette ligne particulière en s, les mains qui palpitent, le visage qui se penche, la respiration et la voix modulées trahissent des états émotionnels les plus infimes. C’est un artefact, certes, un objet fabriqué, mais l’illusion est parfaite qui nous trouble tant.

Iromoyô Chotto Karimane Kasane, histoire tragique de Kasane, maîtresse de Yoemon, samouraï en fuite, recherché pour le meurtre ancien de Suke, le père de Kasame, ce qu’elle ignore. C’est une histoire de vengeance et de fantômes, de démons vengeurs.

Narukami, une des 18 grandes pièces de Kabuki. Pour s’être vu refusé un privilège, l’ermite Narukami, un saint, prive les hommes de la pluie en maintenant captif le dragon faiseur de pluie. La cour pour déjouer ce sortilège envoie la princesse Kumo no Taema. Cette dernière entreprend de séduire et d’énivrer le moine.

C’est particulièrement dans la seconde pièce, plus longue, que tout l’art du grand Kabuki éclate. Tant pis si nous ne maîtrisons pas tout, à nos yeux d’occidentaux beaucoup de choses nous échappent, bien obligé. Mais il est indéniable que nous sommes très vite captifs, fascinés par cet art d’une richesse et d’une complexité qui n’empêche aucunement une compréhension, même pour nous approximative. La barrière de la langue n’est nullement un obstacle tant tout est si expressif… Et il y a beaucoup à voir, à découvrir sur le plateau… Aussi sommes-nous ébahis, étourdis de tant de richesse, de raffinement au service d’un art véritablement populaire, entre drame et comédie, parfois merveilleusement naïf dans le propos. Ce n’est pas tant l’histoire qui compte que le jeu lui-même qu’entraînent les retournements et le paroxysme des situations que souligne le mie, les états successifs traversés par les personnages, leurs métamorphoses. Histoire de démons, de fantômes, d’amour tragique, de moines libidineux… parfois cru dans le propos (ah, l’histoire de la tortue, métaphore sexuelle explicite inattendue !), voir paillard. Tout est démesuré ou presque, c’est la loi du genre. La gestuelle est dynamique, amplifiée, dilatée. L’aragato attendu fait son effet. Le fantôme défiguré de Kasane nous poursuit longtemps. La fureur phénomènale du moine Narukami abusé, ivre d’alcool, de colère et de désir, prend des proportions inouïes. L’art du mie est éclatant ici. Les deux interprètes principaux nous éblouissent de leur jeu tout en contrastes et nuances. Entre très grande délicatesse pour l’un, sans maniérisme, et rudesse pour l’autre, c’est d’une extraordinaire maîtrise et d’une puissance scénique formidable. Au sortir de cette soirée l’impression perdure d’avoir vécu un moment privilégié, exceptionnel, suspendu.

 

 

Kasane/ Narukami, Grand Kabuki

Cie Shochiku

Avec Nakamura Shido II, Nakamura Shichinosuke II et les interprètes de la compagnie Shochiku

Ensemble musical Kiyomoto

Ensemble Nagauta et Ensemble Ozatsuma

Ensemble Narimono

Chorégraphie Fujima Kanso

Lumières Ikeda Tomaya

Chorégraphie des combats Nakamura Icho, Nakamura Shiichi

 

Du 13 au 19 septembre 2018

À 19h30

 

Théâtre National de la Danse de Chaillot

1 place du Trocadéro

75116 Paris

Renseignements et réservations 01 53 65 30 00

www.theatre-chaillot.fr

 

 

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