Critiques // « Maldoror » d’après le Comte de Lautréamont à la Maison de la Poésie

« Maldoror » d’après le Comte de Lautréamont à la Maison de la Poésie

Juin 13, 2010 | Aucun commentaire sur « Maldoror » d’après le Comte de Lautréamont à la Maison de la Poésie

Critique de Bruno Deslot

Le « mirage des sources »

Pendant longtemps, la vie du mystérieux comte de Lautréamont a été une des plus grandes énigmes de la littérature française. Ses Chants de Maldoror, épopée épique en prose comprenant six chants, ne révèle l’auteur qu’un demi-siècle après sa mort (de cause inconnue) en 1870. Ses sources d’inspiration sont aussi nombreuses que controversées et bien souvent sujettes à caution, ce qui laisse une marge de manœuvre assez vaste à Pierre et Simon Pradinas qui en font une relecture pour le moins épique et d’une étonnante contemporanéité pour l’adaptation des Chants de Maldoror qu’ils proposent en ce moment à la Maison de la Poésie. Maldoror procède d’un découpage de l’œuvre d’Isidore Ducasse, le fameux comte, déclinée en sept temps extraits des Chants premier, deuxième et quatrième de l’œuvre originale.

© Patrick Favre

Du Vieil océan… (Chant premier – texte 9) au pou… (Chant deuxième – texte 9) en passant par Le canif… (Chant premier – texte 5) ou La prostitution… (Chant premier – texte 7) l’intrigue repose sur un postulat qui réduit l’œuvre de Lautréamont à sa plus simple expression : la condition humaine est épouvantable ! Certifié conforme à l’original, Maldoror est à l’image de ce que Breton, Gracq, Soupault ou encore Jarry en on dit et s’impose bien comme le « mirage des sources » comme l’affirmait Maurice Blanchot en critiquant des rapprochements subjectifs sinon abusifs entre Les Chants de Maldoror et L’Apocalypse. Car il est question d’Apocalypse dans cette création en tout cas d’une fin qui se fait attendre avec impatience puisque tout est dit d’avance ! Le mirage est donc bien réel !

Le début de la fin ou la fin du début ?

Costume noir, pantalon pattes d’éléphant, chemise blanche rehaussée de boutons de manchettes imposants, David Ayala pousse la porte d’une belle demeure et entre en scène. Le ton est donné : cela s’annonce rock’n roll ! L’épopée épique est en marche et avec elle toute la lourde machinerie qui lui servira de prétexte pendant la représentation. En fond de scène, sur un grand écran, défilent les premières phrases des Chants précédées de la mention AVERTISSEMENT. Un spectateur averti en vaut deux et heureusement la jauge de la salle peut se le permettre ! Débute alors une vision très spectaculaire du propos de l’auteur que la mise en scène éminemment explicite corolle avec un sens de la rupture très prononcé qui ne fait que segmenter l’adaptation et ralentir le rythme de la proposition.

© Patrick Favre

De chaque côté de la scène, deux rideaux de théâtre retenus par des embrases soutiennent les tons pourpres du canapé placé à cour et de la table basse en forme de M sur laquelle repose une platine. Il eut été dommage de se passer d’une citation aussi éculée, celle des éditions illustrées des Chants de Maldoror par l’artiste belge Frans De Geetere en 1927 qui, pour souligner le caractère sombre et sadique du texte, avaient réalisé 65 eaux-fortes assez sombre et composé le titre de la première de couverture avec des lettres couleur rouge sang, comme sur l’affiche d’un film d’horreur. Rouge c’est rouge et noir c’est noir, il n’y a donc plus d’espoir la condition humaine est bel et bien épouvantable ! A cela s’ajoute une savante projection holographique de poissons lorsque David Ayala dit Vieil Océan, des tâches rouges pour Le canif, des poux pour… Le pou et des traces sombres d’une peinture noire pour Je suis sale ! Pierre et Simon Pradinas ne pouvaient pas être plus clairs. Mais on ne peut pas reprocher à Pierre Pradinas de bien maîtriser son sujet et de proposer une composition de belle facture. Sauf que le comédien, David Ayala, semble perdu au milieu de tous ces jouets comme un enfant trop gâté le soir de Noël ! Dirigé comme un pantin, il s’anime sans émotions en fonction d’une suite de déplacements qui devraient lui permettre de trouver l’engagement, la justesse et l’intelligence à la mesure d’une œuvre aussi puissante que Les chants de Maldoror. Mais c’est peine perdue, David Ayala verse dans un jeu convenu, étriqué et ennuyeux auquel il tente tout de même d’offrir une couleur dramatique en descendant dans des graves tout particulièrement appuyés lorsqu’il s’agit d’aborder les thèmes cauchemardesques de l’humanité. Où sont les images poignantes rappelant les toiles hallucinantes de Jérôme Bosch ou d’Arcimboldo lorsque Maldoror se compare à une bûche pourrie ou substitue ses divers organes à des animaux ? On ne retient ici que la veine bouffonne de l’auteur sans tous les procédés de distanciation dont Lautréamont use pour se nier lui-même. Alors que tout est permis dans l’interprétation d’un conte où s’effacent les barrières qui emprisonnent l’homme, la ferveur, la joie, la férocité, la métamorphose… demeurent en suspens. La musique de Pink Floyd apporte une note distrayante et touchante à cette proposition qui aurait mérité davantage de simplicité et un jeu sans doute plus authentique afin de retrouver la révolte adolescente de Maldoror et la victoire de l’imaginaire sur le réel.

Maldoror
D’après : le Comte de Lautréamont (Isidore Ducasse), « Les Chants de Maldoror »
Mise en scène : Pierre Pradinas
Avec : David Ayala
Conseiller artistique : Gabor Rassov
Musique : Pink Floyd
Scénographie et vidéo : Simon Pradinas
Lumière et vidéo : Orazio Trotta
Univers sonore : Nourel Boucherk
Régie lumière : Fabrice Paillet
Régie son : Maxime Vincent
Régie plateau : Axel Bigot
Décor et costumes : Ateliers du Théâtre de l’Union

Du 2 au 26 juin 2010

Maison de la Poésie
Passage Molière, 157 rue Saint-Martin, 75 003 Paris
www.maisondelapoesieparis.com

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