Critique de Anne-Marie Watelet –

Sarah Gabrielle et sa Compagnie du Théatre Mordoré rend hommage à Anton Tchekhov dans sa nouvelle création « Le Chant du Cygne » au Théâtre du Lucernaire. Mais levons toute ambiguïté : ce n’est pas une pièce signée de l’écrivain-dramaturge, mais des extraits choisis, structurés pour une courte pièce dramatique.

Au soir de sa vie, un acteur se réveille dans un théatre vide et obscur. Alourdi par un passé qu’il déteste, et par quelques vapeurs d’acool, il fait des constats amers sur sa vie d’acteur, et quelques souvenirs plus plaisants de scènes vécues ou jouées – le sait-il lui-même ? – lui reviennent. Un souffleur et homme de main le soutient et l’écoute, réceptacle de son dépit.
« Fuir, fuir, fuir ! Fuir (…) ma vie au rabais… Fuir l’argent de ma femme, la cuisine de ma femme ! M’arrêter au beau milieu d’un champ et oublier… » Dans ce désenchantement, on retrouve celui des personnages tchékhoviens, leur insatisfaction, leur faiblesse de caractère les empêchant d’agir. Et son homme de main de le conforter dans ce sentiment: « Toute votre vie vous avez attendu que quelque chose arrive. Maintenant c’est la fin. » Il s’agit là d’un thème fondamental fréquent dans les drames de l’auteur : les personnages, en proie au renoncement et souvent tournés vers le passé, ratent le but de leur existence.

© Macha H

Ce duo, dans une première partie de la pièce, nous émeut grâce notamment au comédien expérimenté et plein de charisme, Serge Noël, dont le jeu est juste : la corporalité est celle de l’homme épuisé, la voix puissante se double de vraie lassitude.
Puis, entrent et sortent, tour à tour, deux couples jeunes. On devine à certaines scènes, qu’ils représentent le protagoniste jeune et sa femme, puis sa maîtresse ; à d’autres, qu’ils interprètent des scènes qu’il a lui-même jouées. L’épouse qu’il n’a pas su aimer, comme Yvanov dans la pièce éponyme ; les comédies légères qui le laissent atterré. Il reste présent sur le plateau, désabusé devant ce qu’il revoit et revit.

Des discordances mal venues dans la mise en scène.

Tout d’abord, quel est l’intérêt de la première scène, où le souffleur nous adresse une conférence sur les méfaits du tabac ?! Au bout d’un quart d’heure, on s’est demandé si on ne s’était pas trompé de salle ! Ensuite, nous avons quelques difficultés à comprendre qui est qui, parmi les fantômes de jadis. Et discordances donc, entre les scènes de comédie légères et le fond dramatique. Il y a comme un malaise à suivre les pas dansés et les voix de comédie de boulevard, plongés comme nous le sommes dans ce désenchantement que l’acteur domine avec brio. Sarah Gabrielle a emprunté des éléments disparates et cela manque cruellement d’unité. Si Tchekhov, entre autres, a su mêler dans ses pièces mélancolie et gaieté, ce n’est pas donné à tout le monde.
Cependant, le décor et la scénographie sont adroits, et les costumes sont éblouissants.
Sur le plateau, divers vieux objets, certains symboliques comme la malle de voyage, le candélabre au centre, et de même l’éclairage feutré contribuent à l’atmosphère intimiste.

Cela aurait pu être un bel hommage, ou tout simplement une création personnelle fondée néanmoins sur l’esprit et l’art théâtral de Tchekhov, si la mise en scène avait tenu ses promesses.

Le Chant du Cygne
D’après : Anton Tchekhov
Texte français et mise en scène : Sarah Gabrielle / Cie du Théâtre Mordoré
Avec : Anthony Audoux, Nicolas Chupin, Marie Frémont, Serge Noël, Sarah Gabrielle, Aurélien Tourt
Assistante à la mise en scène : Sandrine Gauvain
Scénographie : Camille Ansquer
Costumes : Alice Touvet
Lumières : Eric Pelladeau
Bande son : Yann Galerme

Du 19 octobre au 8 janvier 2012
Du mardi au samedi à 20h, le dimanche à 17h

Théâtre du Lucernaire
53 rue Notre-Dame-des-Champs, Paris 6ème
Metro Notre-Dame-des-Champs – Réservations 01 42 22 26 50
www.lucernaire.fr

www.ciedutheatremordore.fr

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