Critiques // Critique • « Les Enfants se sont endormis » d’après Tchekhov par D. Veronese / Festival d’Automne

Critique • « Les Enfants se sont endormis » d’après Tchekhov par D. Veronese / Festival d’Automne

Sep 23, 2011 | Aucun commentaire sur Critique • « Les Enfants se sont endormis » d’après Tchekhov par D. Veronese / Festival d’Automne

Critique de Denis Sanglard

Daniel Veronese, metteur en scène argentin, s’empare magistralement de La Mouette de Tchekhov. Les enfants sont endormis est une création d’une densité, d’une intensité et d’une âpreté incroyable. Concentrant le texte, l’épurant, il ancre ce drame sur deux thèmes, l’amour non partagé et le théâtre. Et c’est d’une violence inouï, sans hystérie, sans outrance. Une direction d’acteurs au cordeau, tous plus incroyables et justes les uns des autres dans une mise en scène qui va droit à l’essentiel. Daniel Veronese gratte jusqu’à l’os le texte de Tchekhov. Ce qu’il donne à entendre et à voir est redoutable, effrayant même. Il y a sur le plateau comme une urgence vitale. La parole circule dans une énergie qui ne laisse aucun répit. Une parole destructrice, violente. Les personnages s’affrontent, se cognent sur une réalité qui les blesse, sur laquelle ils n’ont aucune prise et dont-ils ne sortent pas indemnes. Les acteurs s’emparent de leur rôles avec une vérité stupéfiante, une profondeur inouïe et atteignent des sommets vertigineux. Chaque personnage est fouillé jusqu’au tripes, révélant les désordres et les failles intimes qui les précipite inévitablement à la catastrophe. Leur lucidité n’a d’égale que leur aveuglement volontaire. Ce sont des personnages à vif, écorchés, disséqués. Ce qui frappe c’est la cohésion et la précision méticuleuse de ce chœur désaccordé dans toute cette fébrilité apparente. Et l’ appétence à défendre une mise en scène aussi singulière que radicale.

© Huma Rosentalski

Mais Daniel Veronese est un metteur en scène qui refuse l’artifice théâtral. Nous n’oublions jamais que nous sommes au théâtre. Le lieu unique de la représentation, scénographie élémentaire et sans artifice, dénonce sa théâtralité même. Comme le simple fait d’être accueillis par les acteurs. Ce qui les place délibérément au centre de cette création. Une mise à distance volontaire qui se débarrasse de toute superficialité pour laisser à nue l’acteur et la parole. En déconstruisant le texte de Tchekhov il lui donne un souffle et une force dramatique insoupçonnés. Ce qui aurait pu être un jeu de massacre s’avère plus qu’un exercice de style. Une vraie création. Il met à jour ce qui sous tend le texte de Tchekhov et lui donne une formidable modernité en le dépouillant d’un carcan historique et dramaturgique. Il ne concentre pas seulement l’action en un seul lieu. Il ne laisse aucun répit, aucun temps mort, annulant même toute temporalité sans rien lâcher d’une cohérence dramatique redoutable. C’est un flux continu et tendu qui nous happe, un tourbillon qui ne laisse aucune prise. L’impression d’être soudain au cœur de ce qui s’énonce, là, maintenant, dans une logique propre aux personnages qui ne doit rien à une quelconque dramaturgie. Mais à une direction d’acteur où chacun est véritablement investi, soulevé d’une grâce et d’une monstruosité formidable. Ces monstres qui surgissent justement quand les enfants sont endormis, cette part obscure en chacun de nous qui nous rend terriblement adultes. L’intelligence de cette création nous rend simplement abasourdi. Mais surtout nous sortons du théâtre de la Bastille avec le sentiment ténu et tenace d’avoir participé à quelque chose de rare et généreux. Merci.

Les Enfants se sont Endormis / Los Hijos se han Dormido
– Spectacle en espagnol surtitré en Français –
D’après : Anton Tchekhov, La Mouette
Texte et mise en scène : Daniel Veronese
Avec : Claudio da Passano, Maria Figueras, Berte Gagliano, Ana Garibaldi, Fernan Miras, Osmar Nunez, Maria Onetto, Carlos Portaluppi, Rolly Serrano, Marcelo Subiotto
Assistante mise en scène : Felicitas Luna
Scénographie : Alberto Negrín
Coordination costumes : Valeria Cook

Du 21 septembre au 2 octobre 2011
Du mardi au samedi à 21h, le dimanche à 18h
Dans le cadre du
Festival d’Automne à Paris

Théâtre de la Bastille
76 rue de la Roquette, Paris 11e
Métro Bastille – Réservations 01 43 57 42 14
www.theatre-bastille.com

Be Sociable, Share!

Répondre

You must be Logged in to post comment.