Critiques // « 887 », mise en scène Robert Le page, au Théâtre de la ville, avec le Festival d’automne

« 887 », mise en scène Robert Le page, au Théâtre de la ville, avec le Festival d’automne

Sep 18, 2015 | Commentaires fermés sur « 887 », mise en scène Robert Le page, au Théâtre de la ville, avec le Festival d’automne

ƒƒƒ article de Florent Mirandole

887-de-robert-lepage-photo-derick-labbe© Erick Labbe

Il est difficile de retomber en enfance. Il est encore plus difficile de ne pas en être nostalgique. C’est sur cette ligne de crête que Robert Lepage avance pendant les deux heures de « 887 ». Occupé à mémoriser un poème fondateur de la culture Québécoise, « Speak White », Robert Lepage trouve là le point de départ pour raconter son enfance passée au Québec. « 887 » est le récit d’une époque, subjective, incarnée, vivante des ombres de ses parents et de ses voisins… mais aussi de Charles de Gaulle, du FLQ et du marquis de Montcalme.
887, c’est le numéro de l’avenue dans laquelle Robert Lepage a vécu son enfance. C’est de cette adresse que Robert Lepage fait démarrer son récit. Coincé entre un quartier anglophone et francophone, le 887 est le point d’observation des luttes intestines que vont mener anglophones et francophones à partir des années 1950/1960 au Québec. On revit alors l’émergence d’un sentiment nationaliste québécois, emporté par le souffle du marquis de Montcalme, héros vaincu du Canada français au 18ème siècle. Provocations anglophones, bataille de drapeaux et attentats rythment ainsi le quotidien du 887 avenue Murray.
Le spectacle de Robert Lepage pourrait se perdre dans le récit de la politique québécoise s’il ne revenait pas constamment à son point de départ, le 887 avenue Murray. A travers son enfance éclairée par les feux de l’actualité, Robert Lepage dresse aussi le portrait amusé de sa famille et de son immeuble. L’auteur redonne ainsi vie à chaque étage du 887, représenté par une maquette disposée au centre de la scène. Par une multitude de trouvailles de mises en scène, les familles d’immigrés, les couples vacillants et les grappes d’enfants recommencent à animer l’immeuble. La dispute nocturne, schématisée sur un plan d’appartement, s’avère particulièrement amusante à suivre. Le metteur en scène réussit même à plonger le spectateur dans le défilé du général De Gaulle de 1966, en filmant une simple petite voiturette promenée devant des figurines en plastique.
Spectacle très autobiographique, l’auteur s’attarde plus longuement sur le personnage de son père. Ancien militaire devenu chauffeur de taxi, la figure du père est dessinée par petites touches, délicates et prudentes. Ainsi sur le plateau plongé dans l’obscurité, seuls les feux de la maquette d’un mini taxi éclaire la maquette du 887. Il s’échappe des vitres la mélodie d’une chanson de Nancy Sinatra, étrangement reprise en français. Une douce mélancolie émane de cette scène, alors que la figurine paternelle au fond de son taxi semble ruminer sa vie ratée au milieu des volutes de fumée.
Avec une distance apparente, Robert Lepage fait le récit d’une enfance à peu près heureuse, surplombée par la lutte d’une communauté pour sa survie. Si l’auteur ne manque pas de distiller une discrète morgue à l’encontre des anglophones, Robert Lepage réussit à déporter au final son récit sur la question plus large de l’identité. Le magnifique poème de fin, « Speak White », raisonne alors comme un cri de douleur de l’acteur sur la disparition d’une descendance, culturelle et paternelle. Aux feux de la scène qui s’éteignent, répondent les phares du taxi de son père. Qui finissent par s’éteindre, eux aussi.

« 887 »
Conception, mise en scène & interprétation Robert Lepage
Direction de création & idéation Steve Blanchet
Dramaturgie Peder Bjurman
Assistance à la mise en scène Adèle Saint-Amand
Musique originale & conception sonore Jean-Sébastien Côté
Conception des lumières Laurent Routhier
Conception des images Félix Fradet-Faguy
Collaboration à la conception du décor Sylvain Décarie
Collaboration à la conception des accessoires Ariane Sauvé
Collaboration à la conception des costumes Jeanne Lapierre

Du 07 au 19 septembre 2015

Théâtre de la Ville
2, Place du Châtelet – 75004 Paris
Réservation 01 42 74 22 77
www.theatredelville.com

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