À l'affiche, Critiques // 2666 d’après Roberto Bolaño, mise en scène de Julien Gosselin, Odéon-Théâtre de l’Europe, Festival d’Automne à Paris

2666 d’après Roberto Bolaño, mise en scène de Julien Gosselin, Odéon-Théâtre de l’Europe, Festival d’Automne à Paris

Sep 13, 2016 | Commentaires fermés sur 2666 d’après Roberto Bolaño, mise en scène de Julien Gosselin, Odéon-Théâtre de l’Europe, Festival d’Automne à Paris

ƒƒ article de Denis Sanglard

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© Simon Gosselin

A roman fleuve, 2666 du chilien Roberto Bolaño mort en 2003, adaptation monstrueuse, chimérique. Chimérique au sens premier, une mise en scène hybride qui joue et se joue des références et des codes théâtraux. Théâtre-récit avant toute chose, entre jeu et narration, le texte est la colonne vertébrale solide qui tient fermement l’ensemble et le cap de cette création fragile qui s’essouffle sur la durée. Julien Gosselin est un jeune metteur en scène audacieux, téméraire, qui ne manque pas de références. Sa mise en scène d’une très grande fluidité, d’une grande cohérence, multiplie les propositions scénographiques et les genres qu’il exploite au risque d’un systématisme qu’accuse la dernière partie de l’ensemble, la cinquième qui en bon polar éclaire les chapitres précédents d’une étrange et surprenante lueur. Quel lien existe entre cette quête par quatre universitaires amoureux d’une œuvre d’un mystérieux romancier allemand, Benno von Archimboldi, que nul n’a jamais rencontré et les meurtres sauvages inexpliqués des femmes, des fillettes, de Santa Teresa, trou poisseux paumé et terrifiant du Mexique, où tout semble converger ? Voyage au bout de l’horreur et de la folie qui voit chacun sombrer ou fuir. Vision d’un monde délétère où l’art, la littérature, ne suffisent plus à masquer la face monstrueuse d’une société en décomposition et dont ce bled paumé où chacun fini par échouer en est la métaphore cynique et violente.

11h00 d’une création qui vous prend à la gorge progressivement avant de desserrer son étreinte. Malgré le quatrième chapitre, sans doute le plus réussi – et le plus terrifiant – de l’ensemble par son audace formelle au risque d’agacer. Julien Gosselin ne manque pas de talent, de culot, mais trop d’emprunts finissent par contaminer le regard que nous portons sur cette création. Les propositions pleuvent, s’emboitent avec intelligence et les références aussi. On songe à Castorf pour l’utilisation de la vidéo, à Ivo van Hove aussi, à Cyril Teste et Warlikovski pour ces parallélépipèdes mobiles et transparents qui relient les deux continents… A Pommerat pour les voix sourdes et distanciées. On devine jusqu’à Claude Régy dans les ombres des derniers instants qui précédent les saluts. On s’en défend mordicus mais on égrène ainsi nos souvenirs de chroniqueurs de créations marquantes, de metteurs en scène innovants. Son audace vient peut-être de ça, de s’emparer d’un héritage en toute décontraction et d’en faire le sien. Balayons toutefois ces souvenirs qui remontent malgré nous et les réserves qu’ils entraînent et disons-nous que Julien Gosselin, à défaut d’un style propre, à moins que cela ne soit le sien et c’est intelligent, fait la synthèse des apports de ses ainés. On n’invente rien, on recycle c’est le propre de l’art. Basta. Et le roman foisonnant de Bolaño lui permet de concrétiser cela, d’hybrider sa mise en scène en toute cohérence, en toute conscience au service exclusif de l’oeuvre. Mais sa mise en scène est un mécano subtil dont la longueur finit malheureusement par dénoncer l’artifice et les emprunts. Elle procède du palimpseste. Le cinquième et dernier chapitre en devient le symptôme. Manque d’inspiration ou fatigue accusée, la mise en scène vire au tic, au systématisme qui lasse après le choc du chapitre précédent. Cependant malgré l’agacement qui point l’émotion est là, tenace malgré nos réserves. Parce que l’écriture, le texte, le respect envers l’oeuvre de Bolaño, finissent par tout balayer. Parce que des comédiens s’emparent de ce matériau foisonnant avec une énergie et une fougue sans retenue. Parce que le rythme lancinant et hypnotique semé d’éclats de foudre, associé au tempo prégnant de la musique live vous maintient en alerte. Parce qu’enfin certaines images, particulièrement dans leur surprenant dénuement, laissent une empreinte certaine. Reste la découverte d’un immense auteur – pour ceux qui ne le connaissaient pas – et rien que pour ça 2666 dans son entreprise folle et sa démesure généreuse est une réussite.

 
2666
d’après Roberto Bolaño
Adaptation et mise en scène Julien Gosselin
Scénographie Hubert Colas
Musique Rémi Alexandre, Guillaume Bachelé
Lumière Nicolas Joubert
Vidéo Jérémie Bernaert, Pierre Martin
Son Julien Feryn
Costumes Carole Tavernier

Avec Rémi Alexandre, Guillaume Bachelé, Adama Diop, Joseph Drouet, Denis Eyriey, Antoine Ferron, Noémie Gantier, Carine Goron, Alexandre Lecroc-Lecerf, Frédéric Leidgens, Caroline Mounier, Victoriaz Quesnel, Tiphaine Raffier

Du 10 septembre au 16 octobre 2016
Intégrales les samedis et dimanches à 11h
Ou en deux soirées consécutives les mercredis et jeudis à 18h

Odéon – Théâtre de l’Europe
Ateliers Berthier
1, rue André Suares – 75017 Paris
Réservations 01 44 85 40 40
www.theatre-odeon.eu
odeon@theatre-odeon.fr

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