© Ilaria Scarpa
ƒƒƒ article de Nicolas Thevenot
C’est de la nuit des temps, originelle, indienne, africaine, italienne, moyenâgeuse… et que sais-je encore, que surgit la créature de François Chaignaud. Fantasmagorique et folklorique à la fois, croyions-en son ramage et son plumage, Думи мої – Dumy Moyi convole sur un roulement de tambour. L’obscurité sauf un projecteur porté à bout de bras par un technicien attrapant l’apparition comme un papillon voletant dans la nuit. L’éphémère n’a pas de prix, brille dans le pinceau lumineux. Impression d’être projeté dans une nuit indienne, de voir miroiter l’effigie d’une déesse sur la rétine opaque du monde. Verroteries, crinoline cage d’où pend un crin coloré, haut pareillement ajouré et coloré, chair à nue glamour, la tenue stupéfie et réinvente, à sa façon extravagante, celle d’un rituel déambulant au milieu de ses coreligionnaires. Car comme François Chaignaud l’évoque dans la feuille de salle, il s’agit à travers cette pièce créée en 2013 au Festival Montpellier Danse de réinvestir tout ce qui a fait le terreau de la danse mais qui fut invisibilisé du fait d’origines de basse extraction : rites, danses populaires, gestes vernaculaires, cabarets…
Avec la magnifique voix de François Chaignaud, c’est un peu les noces de la musique savante, baroque, avec le corps impur de l’irrationnel, troublant la désormais séparation de leurs mondes. Danseur de Kathakali, chaman, danseuse de tarentelle, il est tous ceux-là à la fois, et poule faisane, et tourterelle encore. Ces mondes-là communiquent très certainement, nous faisons mine de l’avoir oublié : le travestissement, du prêtre comme du drag, est toujours un ravissement que le performer exhale à chaque instant, en cela ils communient les deux incontestablement. Думи мої – Dumy Moyi scelle l’alliance des opposés, comme le ciel où explose la voix éthérée du chanteur et le sol battu fermement par les pieds du danseur. C’est dans cette conjonction que se produit le miraculeux Думи мої – Dumy Moyi : joignant les contraires, il acte également la présence des morts, du sépulcral, dans le spectacle du vivant. Performance magistrale de François Chaignaud, corps et voix, Mes pensées, mes pensées, traduction du titre ukrainien de la pièce, opère aussi un singulier retournement de situation pour son regardeur : questionnant ce qu’il a pu perdre de son propre rapport ingénu et cathartique au principe de représentation tout en percevant dans la nuit de sa conscience ce qui encore y tressaille faiblement, inconnu. François Chaignaud d’une certaine façon, en ethnographe avisé et sublime performeur, remet les deux pieds dans le plat d’Antonin Artaud et du Théâtre et son double.
© Odile Bernard Schröder
Думи мої – Dumy Moyi, conception et interprétation de François Chaignaud
Costumes : Romain Brau
Conception lumières : Philippe Gladieux
Régie générale : Anthony Merlaud
Conseil musical : Jérôme Marin
Adaptations / chef de chant : Antoine Bernollin
Mixage son : Jean-Michel Olivares
Durée : 35 minutes
Le 7 décembre 2024 à 18h et 20h
Centre national de la danse
1 rue Victor-Hugo
93500 Pantin
Tél : + 33 (0)1 41 83 98 98
www.cnd.fr
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