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Critique • «  La voix humaine » Jean Cocteau / Studio Théâtre de la Comédie Française

Mai 16, 2012 | Aucun commentaire sur Critique • «  La voix humaine » Jean Cocteau / Studio Théâtre de la Comédie Française

Critique Denis Sanglard

Un chambre de meurtre

Cloîtrée dans une chambre obscure où seul un lit non défait témoigne d’une passion morte, une femme dévastée pleure sa défaite. Seule. Protocole d’adieu à l‘amant, longue conversation téléphonique déchirée de silence où Cocteau, adepte de la modernité, se joue des codes théâtraux et n’offre à son interprète comme unique partenaire qu’un téléphone et le néant. Il inscrit la tragédie dans une modernité effrayante où au désespoir ne répond plus que le vide, l’éloignement, la lâcheté. Il y a bien un autre personnage, mais son absence sur le plateau, qui s’inscrit dans les silence de la partition, renvoie la femme à une solitude sans doute plus grande encore. « La scène est une chambre de meurtre » écrit Cocteau. Nous assistons à une mise à mort en direct. Une femme agonise dans le dénie de sa souffrance. Souffrance tue, désespérément niée, pour croire une dernière fois à cette passion brisée. Sa vie ne tient désormais qu’au fil de ce téléphone qu’elle finit par s’enrouler autour du cou…

©DR

Un fantôme

Crée par Berthe Bovy en 1930 à la Comédie Française il revient aujourd’hui à Martine Chevalier de l’incarner. Martine Chevalier est à mon avis une des plus belle et des plus grandes comédienne de sa génération. Et l’une des plus discrète. Trop sans doute. Elle donne dans ce monologue toute la mesure, la force de son talent et de sa présence. A ce qui pourrait devenir un exercice de style, un morceau de bravoure, un festival d’artifices et d‘effets, d‘affects, elle oppose une retenue où l’émotion affleure sans jamais tomber dans l’outrance, loin de toute hystérie qui serait un total contre-sens. Ce texte est fait de silence, réponse de l’amant au bout du fil. Dans ces trouées là, Martine Chevalier s’engouffre et se perd, se noie. Et nous entraîne avec elle. C’est dans ces silences là que le personnage prend toute sa mesure et que Martine Chevalier inscrit quelque chose de troublant. Elle ne livre rien de ce qui est dit à l’autre bout du fil. Comme si il n’y avait finalement déjà que le vide. Mais dans ce dialogue avec le néant qui la fait trébucher elle semble lutter pour ne jamais sombrer. Et chaque réponse donnée à ce qui semble n’être plus qu’un vague écho relève d’une conquête, d’une victoire, d’une simple reprise de souffle avant le prochain K.O.  Quelque chose est déjà là qui annonce la fin. C’est une femme qui donne le change, bravache, qui se ment, en sursis car démunie de ce qui sans doute pourrait la sauver, la présence de l’autre. Cocteau fait de cet instrument de modernité, le téléphone,  une arme fatale qui se retourne contre le personnage. « On croit être mort. On entend et on ne peut se faire entendre… » dit la femme. Martine Chevalier est déjà morte. C’est un fantôme qui hurle une longue plainte muette.

Tombeau pour une amante défunte

La mise en scène de Marc Paquien entoure l’actrice avec grande délicatesse. Mise en scène discrète mais efficace et juste qui fait la part belle au texte de Cocteau que Martine Chevalier sert magnifiquement. Partition presque musicale pour une voix qui s’éteint et qu‘on étrangle. La scénographie de Gérard Didier fait de cette chambre un entre-deux abstrait où le lit, par la grâce des lumières, semble flotter tel un radeau échoué sur un miroir noir et glacé. Ces miroirs, passages entre deux mondes, tel que Cocteau les affectionnait. Marc Paquien donne ainsi à l’ensemble une note crépusculaire, étrange et presque fantastique. Martine Chevalier semble enclose dans un tombeau, emmurée dans une passion déchirante, qui ne peut avoir d’autres issue que fatale.

Ce texte est précédé d’un autre texte de Cocteau, La Dame de Monte-Carlo dans la version musicale de Francis Poulenc et chanté par véronique Vella. Sans remettre en question la qualité de l’interprétation, au demeurant impeccable, ce prologue était il bien nécessaire ?

La voix Humaine
De Jean Cocteau
Mise en scène de Marc Paquien
Avec Martine Chevalier

Précédée de La Dame de Monte-Carlo de Jean Cocteau
Musique de Francis Poulenc
Mise en scène de Marc Paquien
Avec Véronique Vella
Et Jorge Giménez, pianiste-chef de chant de l’Atelier Lyrique de L’opéra National de Paris

Scénographie de Gérard Didier
Lumières de Pierre Gaillardot
Costume de Claire Risterucci
Maquillages et coiffures de Christelle Paillard
Assistante à la lumière Marie Boethas

Avec l’aimable autorisation de Pierre Bergé, président du comité Jean Cocteau

Studio Théâtre de la Comédie Française
Mercredi au dimanche à 18h30
Renseignements et location 01 44 58 98 58

www.comedie-française.fr
Métro Palais-Royal

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