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Juste la fin du monde, de Jean-Luc Lagarce, mise en scène de Johanny Bert, au Théâtre de l’Atelier

Jan 23, 2025 | Commentaires fermés sur Juste la fin du monde, de Jean-Luc Lagarce, mise en scène de Johanny Bert, au Théâtre de l’Atelier

 

© Christophe Raynaud de Lage

f article de Denis Sanglard

La langue de Jean-Luc Lagarce, cette écriture si singulière, cette petite musique si particulière, unique et reconnaissable entre toutes qui est la marque d’un immense auteur. Jean-Luc Lagarce et sa douce cruauté, son humour pince-sans-rire, son ironie mordante, son écriture si pointue et minutieuse. L’expression d’une souffrance à vif, d’une pudeur irrépressible, que cette langue sculpte avec une concision maniaque et donne à son œuvre tant d’impact, son élan et sa force.

Jean-Luc Lagarce, trop tôt disparu, fauché par le sida, il y a 30 ans déjà… La langue de Jean-Luc Lagarce est une matière vivante, organique et concrète, qui respire, constitutive de chacun des personnages, de leurs contradictions, de leurs mystères, de leurs secrets. Le texte ne cesse d’aller et venir, ressasse, se reprend, pour dire au plus juste, être au plus près d’une vérité qui toujours semble vous échapper, exprimer une vérité qui toujours échappe à l’aveux. Ou le silence importe autant. Chez Jean-Luc Lagarce les personnages sont empêchés, empêtrés, taiseux souvent. Ils biaisent, ils trichent, finissent par se lâcher, brutalement, tout lâcher pour combler le vide qui les sépare et le manque qui les ronge. Dire, enfin, ses quatre vérités. Et blesser. Ou se taire, obstinément, pour l’exemple. Et blesser. La parole circule, malaisée, chaotique, impérative et fragile. Paroles que l’on retient, que l’on arrache, qui détermine avec tant de précision maniaque une façon unique d’être au monde, vous reliant aux autres, brochés malgré soi, contre soi.

Comme Louis, venu annoncer sa mort prochaine, et dont l’arrivée inopinée ouvre à nouveau des plaies que l’on croyait, à tort, fermées et qui repartira sans rien avoir dit, laissant derrière lui un champ de nouveau dévasté.

Johanny Bert aborde Jean-Luc Lagarce naturellement par le biais de la langue. Comment faire autrement… Seulement tout entier, et avec raison, attaché à elle il en oublie ce qui traverse aussi son œuvre, un sentiment de vie irrépressible. Jean-Luc Lagarce ne simplifie pas les choses, Juste la fin du monde enchaîne les monologues, autant de soliloques qui peuvent entraver d’une certaine façon la mise en scène. Et c’est bien un sentiment d’entrave que nous ressentons au fil de cette représentation. En dehors de ce que chacun exprime, les personnages n’existent plus quand la parole les quitte. Pris dans les rets d’un texte difficultueux et d’une construction littéraire singulière, que les comédiens maîtrisent certes haut la main, dont ils se sortent avec les honneurs, ils sont justes, et seulement justes mais n’ont plus étrangement de réalité ni de vérité en dehors de lui… Il manque avec évidence ce qui fait la force également de l’écriture de Lagarce, un formidable espace de jeu, de tension, d’interaction subtile et parfois souterraine malgré la solitude ancrée en chacun, l’incompréhension têtue envers les uns et les autres. Voire de silence pour ne pas étouffer sous et par trop de respect d’une langue qui vous envahit, envahit tout l’espace dramaturgique, qui est cet espace même, et avec laquelle avec évidence il faut s’appuyer pour, en même temps, s’en dégager afin de lui donner ce poids de chair sensible, écorchée, qui manque singulièrement ici.

Parce que Johanny Bert qu’on a connu plus inspiré, ne les aide pas qui, d’une certaine façon, les plante là quand ils se taisent, sans même une ébauche d’interaction, ou si peu, isolés les uns des autres par cette mise en scène qui ne cesse de les désincarner hors le texte. Il manque à Johanny Bert de sortir ce texte de ses gonds pour en extraire sa véritable profondeur et toute puissance qui n’est pas seulement en lui mais aussi et plus finement hors de lui.  Nous demeurons ainsi à la surface des choses, en retrait, sans vraiment de hauteur ni d’engagement, d’une vison plus large que littérale ou simplement d’un véritable point de vue affirmé. Ce n’est pas un échec, ce n’est pas la fin du monde non plus, cela restant honnête et de facture somme toute classique. On reste encore dans le registre de l’admiration d’un metteur en scène pour un auteur devenu avec raison incontournable et qu’on voudrait ou pense intouchable. Mais trente ans après la mort de Jean-Luc Lagarce, peut-être faudrait-il oser enfin sortir du protocole compassionnel, se risquer à un peu plus d’audace comme Jean-Luc Lagarce lui-même, metteur en scène bousculant les classiques au risque de l’échec. Il est certain que le texte quoiqu’il puisse subir, à défaut d’être exhaussé résistera toujours, comme ici.

 

© Christophe Raynaud de Lage

 

Juste la fin du monde, de Jean-Luc Lagarce (Edition Les Solitaires Intempestifs)

Mise en scène, scénographie et direction d’acteur.ices  de Johanny Bert

Avec : Astrid Bayiha, Céleste Brunnquell, Vincent Dedienne, Christiane Millet, Loïc Riewer

Et les marionettistes en alternance : Kahina Abderrahmani, Elise Cornille

Asssitante à la mise en scène : Lucie Grunstein

Assistant à la scénographie : Grégoire faucheux

Création musicale : Guillaume Bongiraud

Création sonore : Marc De Frutos

Création lumières : Robin Laporte

Cration marionnette : Amélie Madeline

Création costumes : Alma Bousquet

Accessoiriste : Irène Vignaud

 

Jusqu’au 02 mars 2025

Du mercredi au samedi à 21h, le samedi à 15 & 21h, le dimanche à 16h

Durée 1h45

 

Théâtre de l’Atelier

1 place Charles Dullin

75018 Paris

 

Réservation : 01 46 06 49 24

billeterie@theatre-atelier.com

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