À l'affiche, Critiques // La Machine de Turing, de Benoît Solès, mise en scène de Tristan Petitgirard au Théâtre Michel

La Machine de Turing, de Benoît Solès, mise en scène de Tristan Petitgirard au Théâtre Michel

Juil 12, 2019 | Commentaires fermés sur La Machine de Turing, de Benoît Solès, mise en scène de Tristan Petitgirard au Théâtre Michel

 

© Émilie Brouchon

 

 

ƒƒƒ Article de Philippe Escalier

« Vous faisiez quoi pendant la guerre ? » Que l’on ait pu poser, en 1952, cette question au génie des mathématiques, Alan Turing qui, en 1942, brisa Enigma, le code réputé inviolable de la marine allemande est proprement surréaliste. La réhabilitation d’un des héros du second conflit mondial, qui eut à souffrir d’ingratitude et de discrimination du fait de sa sexualité, a été heureusement entamée il y a déjà quelques années. La pièce de Benoît Solés, jouée au Théâtre Michel, couronnée par quatre Molières, apporte sa pierre à ce travail indispensable, et de la plus belle des manières.

Par bonheur, l’histoire d’Alan Turing commence à être connue. Néanmoins, on ne se lasse pas de parler du destin de cet homme hors du commun, né en 1912 à Londres, deux mois après le naufrage du Titanic. Dès 1938, conscients des dangers que représentent les nazis, les Britanniques veulent mettre à jour le code allemand, qui change tous les jours, protégé par les redoutables complexités de la machine Enigma. Pour cela, Alan Turing, grand mathématicien, passionné par la cryptanalyse, est l’homme idéal. Conscient de l’immensité de la tâche, il élabore une machine, l’ancêtre de l’ordinateur, capable d’effectuer un grand nombre de calculs dans un minimum de temps. À force de ténacité et d’intelligence, il finit par réaliser l’impossible : casser Enigma. Un exploit qui participera à la victoire des alliés, mais la guerre froide qui s’installe dans la foulée impose une chape de plomb sur l’incroyable réussite de Turing et de l’équipe qui l’entourait. En 1952, une rencontre malheureuse avec un jeune serveur, peu honnête, l’amène à dénoncer un vol. C’est le moment où son homosexualité est découverte par les autorités. Comme Oscar Wilde soixante ans plus tôt, il tombe sous le coup de la loi de 1885. La justice lui laisse alors le choix entre la prison et la castration chimique. Il choisit la seconde alternative pour continuer ses recherches. Mais ce traitement va le diminuer et le transformer. Cet athlète, qui réalisait des temps remarquables au marathon, ne supporte pas la déchéance physique et décide d’en finir. Lui qui avait été fasciné par Blanche-Neige, s’empoisonne en 1954 : il croque une pomme enduite de cyanure, un geste qui renvoie immanquablement à la célèbre marque informatique née plus tard à Cupertino.

Alan Turing revit sous nos yeux grâce à la remarquable interprétation toute en sensibilité et en subtilité de Matyas Simon. Il est à la fois l’homme et l’enfant qu’était Turing, avec son intelligence fulgurante et ses comportements parfois un peu maladroits. Éric Pucheu, pour sa part, interprète avec une égale facilité le sergent Ross qui comprend vite à quel point l’affaire à laquelle il est confronté est atypique et le jeune serveur à l’origine du procès fatal. Il interprète donc alternativement l’empathie et la sympathie, puis l’égoïsme et le cynisme. Soutenus par la mise en scène subtile de Tristan Petitgirard, jouant si bien avec les années et les allusions diverses, devant un mur formé de cases en forme d’échiquier, projetant des images ou des extraits de vidéos, rendant la pièce aussi passionnante qu’un film, les deux comédiens nous offrent une belle leçon de vie, de tolérance et d’Histoire expliquant l’engouement du public pour cette « Machine de Turing » découverte pour la première fois lors du festival d’Avignon 2018 et qui continue à fonctionner avec un succès dont on ne peut que se réjouir. Il est bon qu’aujourd’hui nous gardions éternellement le souvenir d’Alan Turing a qui nous devons tant !

 

© Émilie Brouchon

 

La Machine de Turing, de Benoît Solès

Inspirée par la pièce de Hugh Withemore Breaking the code
Basée sur Alan Turing : The Enigma d’Andrew Hodges

Mise en scène : Tristan Petitgirard
Assistante mise en scène : Anne Plantey
Décor : Olivier Prost

Costumes : Virginie H
Lumières : Denis Schlepp
Musique : Romain Trouillet
Vidéo : Mathias Delfau

 

Distribution : Benoît Solès ou Matyas Simon / Amaury de Crayencour ou Éric Pucheu

 

 

Du mardi au samedi à 21 h ; matinée le dimanche à 16 h  

Durée 1 h 30

 

Théâtre Michel  

38, rue des Mathurins

75008 Paris

T+ 01 42 65 35 02

www.theatre-michel.fr

 

À Avignon, la pièce se joue au Théâtre Actuel, 80 rue Guillaume Puy.

 

 

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