ƒƒƒ article de Denis Sanglard

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La spirale du temps perdu, Proust suite. Ils sont 16 sur le plateau. À peine plus de vingt ans, peut-être moins, sans doute un peu plus. 16 jeunes au sortir de l’adolescence, à la frontière délicate d’être adulte. Ils sont beaux, cosmopolites, d’origines diverses. Ils sont splendides d’insolence, de gravité, de liberté. Yves-Noël Genod réunit sa « petite bande de Balbec », intuition géniale, pour une création délicate et splendide, lumineuse comme toujours, une cartographie intime et insolente, un instantané fragile, d’une jeunesse inconnue et morgue qui nous échappe et nous terrifie. Ils sont là, poseurs sans ostentation, nous ignorant avec superbe, conscients de notre présence peut être mais dont ils se moquent, avec raison. Tout à leur affaire, s’embrasser à se dévorer, boxer, nager, danser, gigoter, chanter, se raconter des histoires et nous clouer le bec, pleurer magnifiquement et sans honte, nous interroger parfois… Le plateau de la Ménagerie de Verre, leurs appartient et comme leurs appartient le monde, ils y entrent, ils en sortent, restent au lointain, fuyant avec résolution, obstination, ou bien soudain tout au bord du plateau vous scrutent avec attention comme on observe quelques insectes étranges, le monde des adultes. Ils prennent tout leur temps pour trois fois rien qui sont tout, quelques gestes quotidiens souvent qui vous bouleversent, remettre un col en place, esquisser une caresse, quelques occupations mystérieuses et définitives qui vous interrogent. Jusqu’à recommencer parfois où reprendre là où ils nous avaient laissé sans plus d’explication. Yves-Noël Genod est là lui aussi, attentif, bienveillant, parmi le public ébahi. Juste une courte intervention, le temps de lire le portrait d’Albertine, laquelle, mais est-ce bien elle, en body fruitée traverse, mutine, le plateau bientôt suivie d’un aéropage qu’elle mène à la baguette. Et puis soudain, avec fracas, il serait dommage de dévoiler cette idée scénographique d’une poésie sublime, délicate, et bête comme choux donc magnifique, ils sont à Balbec, nous sommes à Balbec, telle une envolée de mouettes rieuses sur la sable, eux et nous, à découvrir les bains de mer, plonger dans l’écume mousseuse, chacun à sa façon. C’est d’une grâce inouïe et bouleversante. C’est d’une grande douceur. Cette scénographie-là, inattendue, insoupçonnable au regard de la première partie, fait basculer avec un bonheur renouvelé cette création dans un ailleurs joyeux, léger et insouciant. Et ce qui suit, parce qu’il faut en finir aussi, hélas, met à nu leur parade première, dévoile l’envers, le hors-champs, sifflote avec éclat la fin du jeu, les inscrit définitivement dans leur réalité, la beauté contemporaine sans apprêt. Le chaos joyeux qui règne alors, balayant la théâtralité et le plateau, n’est que l’autre versant de leur intrépidité, de leur insouciance, de leur être. Et c’est beau de découvrir un continent nouveau. Yves-Noël Genod a le même regard que Proust sans doute sur nos contemporains, celui d’un entomologiste sur un monde fragile voué à disparaître, leur jeunesse. Et c’est ce qu’il a su capter ici, cet entre-deux délicat ou tout peut basculer. Mais en restant tout au bord, avant la chute, il offre une création à la beauté grave et légère et rend un hommage admiratif à cette jeunesse qui porte en elle la beauté contemporaine. Et notre avenir.

La Beauté contemporaine
Conception Yves Noël Genod
Lumière et scénographie Philippe Gladieux et Iannis Japiot

Du 14 au 16 mars 2017 à 20h30

Festival Etrange Cargo
La Ménagerie de Verre
12-14 rue Léchevin – 75011 Paris
Réservation 01 43 38 33 44
reservations@menagerie-de-verre.org
www.menagerie-de-verre.org

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