À l'affiche, Critiques // And so you see (…), chorégraphie et mise en scène de Robyn Orlin, Théâtre de la Bastille / Festival d’Automne à Paris

And so you see (…), chorégraphie et mise en scène de Robyn Orlin, Théâtre de la Bastille / Festival d’Automne à Paris

Nov 03, 2016 | Commentaires fermés sur And so you see (…), chorégraphie et mise en scène de Robyn Orlin, Théâtre de la Bastille / Festival d’Automne à Paris

ƒƒƒ article de Denis Sanglard

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© DR

Une performance coup de poing, une performance qui atteint malgré la rage et la tragédie une grâce inouïe… Robyn Orlin interroge inlassablement les soubresauts de l’Afrique du Sud. Où en est ce pays, son pays, plus de vingt ans après la fin de l’apartheid ? Avec toujours la même focale, celle de l’identité. De race, de classe, de sexe. Et le même médium, la danse. Et plus largement la culture. Vingt ans après donc, Robyn Orlin pointe du doigt les contradictions d’un pays qui tout en affirmant l’égalité des sexes dans sa constitution, pratique le « viol correctif ». Un conservatisme étroit, une interprétation de « l’identité africaine », de la culture traditionnelle qui refuse l’altérité, le questionnement sur le genre, la race et le développement intellectuel considérés, explique Robyn Orlin, comme une provocation. Cette altérité possible et affirmée, cette « provocation », Albert Ibokwe Khoza en fait un combat magnifique, intelligent, sensible et d’une insolente pertinence. Lui noir, gay, acteur, danseur, songoma (chaman-guérisseur), chrétien, son solo, cette performance est une réponse cinglante au conservatisme sud-africain. Albert Ibokwe Khoza est un performeur hors-norme, impressionnant. Physiquement d’abord, c’est une montagne à la troublante beauté androgyne, un corps d’emblée éminemment transgressif et politique. Il y a en lui du Divine, le trash en moins, et du Steven Cohen, autre sud-africain, dans cette façon unique de faire de son corps l’objet de toutes les transgressions à travers ici les 7 péchés capitaux explorés de façon singulière et ludique au son d’un requiem, « un requiem pour l’humanité », celui de Mozart, qu’il renverse en un rituel chamanique et festif, un exorcisme joyeux. Oui on peut être gay, masochiste même, se proclamer reine des Nubiens, s’embijouter de bagues rutilantes, être chrétien et guérisseur, danser sur le requiem de Mozart une danse rituelle ou chamanique, la danse d’un oiseau à vous arracher des larmes pour la beauté profondément aigüe qui en émane et chanter ensuite d’une voix d’enfant, le corps nu peint en bleu et soudain fragile, une prière douloureuse à la conclusion sans appel : ne reste–il plus à danser qu’avec les armes ?.. Il n’y a rien qui ne puisse faire obstacle à sa farouche volonté d’explorer les possibles d’une altérité féconde et dans ces frottements entre sa culture, au sein même de celle-ci, et cette ouverture au monde, c’est tout l’avenir de l’Afrique du Sud, des générations à venir, qui se joue. Robyn Orlin et Albert Ibokwe Khoza ont cette même ironie cinglante, cette même lucidité mordante, ce même panache et courage dans l’affirmation de soi. Elle, la chorégraphe blanche sud-africaine, et lui, l’artiste protéiforme dont la vie est un combat en soi. Car ce que ces deux complices explorent ici vent debout c’est aussi la mémoire d’un pays libéré qui ne se résout pas à entrer dans la modernité sinon, ultime paradoxe, au prix d’une identité retrouvée mais crispée sur elle-même et réactionnaire qui se refuse à l’altérité. Sous la causticité et l’humour de cette performance, sans doute la plus violente chorégraphiée par Robin Orlin, il s’agit de déconstruire cette idée même et de démontrer la richesse de l’individu, l’indispensabilité de son métissage propre à la/sa culture. La liberté flamboyante et crâne, sa douleur aussi, d’Albert Ibokwe Khoza, son insolence artistique et sa culture, sont un plaidoyer magnifique, un défi pour cette Afrique ouverte vers l’avenir, la génération de demain. Ce qui se passe sur la petite scène du Théâtre de la Bastille est sans conteste l’amorce d’une révolution en marche.

And so you see…our honorable blue sky and ever enduring sun…can only be consumed slice by slice
Chorégraphie et mise-en-scène Robin Orlin
Danseur Albert Ibokwe Khoza
Costumes Marianne Fassler
Vidéo Philippe Lainé
Lumière Laïs Foulc

Du 31 octobre au 12 novembre 2016 à 19h30
Relâche le dimanche

Théâtre de la bastille
75, rue de la Roquette
75011 Paris
Réservations 01 43 57 42 14
www.theatre-bastille.com

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