ƒƒƒ article de Florent Mirandole

© DR

C’est un monde dans lequel David Bowie est un romancier raté, où Judith Garland vivote en Ukraine, et où Charles Bukowski échange ses rôles avec Mickey Rourke. Ce monde dépeint au théâtre Bastille est le monde de Celine Champinot, l’auteur et la metteuse en scène de Vivipares. La jeune auteure a choisi de s’appuyer sur quelques grands noms de la culture pop pour créer un road-trip tonitruant déjanté et désespéré. La petite troupe d’acteurs alcooliques et de personnages dépressifs navigue ainsi entre les Etats-Unis et l’Europe, de motels minables en chambres miteuses. Au milieu d’un fjord suédois ou en gare de Bourg en Bresse, l’équipée éthylique se débat pour s’arracher aux mythes qu’elle transporte. Misère, ivresse, et anonymat hantent les échanges et poussent les personnages vers l’irrémédiable. Le monde dépeint ici par Céline Champinot est gluant, sombre et colle aux doigts.

L’auteure est allée manifestement puiser à la source de la culture pop pour construire sa pièce. Les emprunts sont nombreux, dans les thèmes comme dans le style. Charles Bukowski se pochtrone, Judy Garland titube, et Ziggy Stardust perce sous David Bowie. Mais si les emprunts sont patents, et assumés, l’originalité de la pièce est tout aussi évidente. D’abord dans l’invention d’une épopée proprement déroutante, les aventures de la petite troupe à bord d’un train SNCF en route pour Lausanne faisant partie des inventions les plus improbables de la pièce.

Mais c’est surtout dans l’écriture que Céline Champinot se distingue. Bruts, directs, les dialogues sont sans compromis, portés d’ailleurs par des personnages connus pour leur absence de limites. A aucun moment l’auteur ne tombe dans la facilité de la provocation, et chaque mot est dense, pesé et ajusté pour faire mal. Le texte est également servi par un rythme hors du commun, la vivacité des répliques surprenant autant que la griffure des mots.

Face à cette épaisseur, les actrices sont heureusement à la hauteur. Elles empoignent leur texte souvent avec brutalité, pour en revêtir leur personnage poisseux. L’actrice incarnant Marthe/Judy Garland est peut être la plus éclatante, maitrisant à la perfection sa schizophrénie enragée, tantôt Judy Garland désabusée tantôt starlette fragile et rêvant d’étoiles.

Il est difficile de ne pas perdre le fil au milieu de ces Vivipares, tant les répliques, si elles visent chaque fois justes, s’enchainent et se brouillent entre elles. Cette impression de désorientation est renforcée par la confusion des rôles voulue par l’auteure. Alors que le mythe d’Oedipe plane sur la pièce, les personnages changent de rôle comme de sexe plusieurs fois. Charles Bukowski est joué par une femme, les enfants veulent être des femmes, Marthe devient Judith Garland.

Les nombreuses prises de risques de l’auteure/metteuse en scène ne vont pas sans échec. La fin de la pièce est un peu victime de l’exigence de son auteure, et la baisse d’intensité dévoile un peu les ficelles. Pour autant Vivipares s’avère être une pièce inclassable et profondément originale, qui permet de découvrir le ton libre et sans concession de son auteure, Céline Champinot.

Vivipares (posthume)
Texte et mise en scène de Céline Champinot
Lumières Claire Gondrexon
Scénographie Émilie Roy.
Collaboration artistique
Nicolas Lebecque Arrangements,
Musique Céline Champinot, Antoine Girard PEM Braye-Weppe et Mozart
Chorégraphie Céline Cartillier.
Chant Marion Gomar
Postiches Gwendoline Quiniou

Avec Adrienne Winling, Sabine Moindrot, Élise Marie, Maëva Husband et Louise Belmas.

Théâtre de la Bastille
76 rue de la Roquette – 75011 Paris
Métro Bastille (ligne 5,1,8)
Réservation 01 43 57 42 14
www.billetterie.theatre-bastille.com

Be Sociable, Share!

•