© Fabienne Rappeneau
ƒƒƒ Article de Philippe Escalier
Le texte délicieux, drôle et raffiné de Gérard Savoisien magistralement interprété par Béatrice Agenin et Arnaud Denis retraçant l’histoire d’une émancipation doublée d’une vie sentimentale malheureuse, est source d’un immense bonheur pour le spectateur du Petit Montparnasse.
Il n’y a pas d’amour ancillaire heureux, tel pourrait être le sous-titre de la pièce de Gérard Savoisien qui a entrepris de retracer la vie de Marie Caillaud, jeune enfant entrée vers onze ans au service de George Sand qui la prendra sous son aile après avoir remarqué son étonnante vivacité intellectuelle. Ne parlant qu’un pauvre français généreusement déformé par un terrible patois berrichon, la jeune fille sera d’abord affectée aux travaux de cuisine et de ferme, tirant son surnom des volailles dont elle doit aussi s’occuper, avant que la femme de lettres ne décide de lui apprendre à lire et à écrire. Sa formation se fera de pair avec la découverte de l’amour physique avec Maurice, le fils de maison. Le jeune homme oisif, assez cynique, est d’abord uniquement attiré par les charmes de la servante qui elle, tombera assez vite amoureuse. Avec le temps, la relation cachée évoluera vers des sentiments plus partagés mais la générosité de la maîtresse de Nohant ne va pas, lorsqu’elle découvre le pot aux roses, jusqu’à permettre l’union de son fils adoré avec une domestique, aussi appréciée et choyée soit-elle. Et cette obligation de contracter un mariage bourgeois pesant sur Maurice viendra désespérer Marie, devenue pourtant une gouvernante accomplie et réfléchie, ayant brisé les chaînes de l’analphabétisme pour devenir une femme libre, amoureuse des livres et du théâtre.
Marie des Poules, gouvernante chez George Sand de Gérard Savoisien est un modèle de réussite. Le style, n’obéissant à aucune mode, est classique et pur, toujours d’une grande précision et porteur d’une forte charge humoristique. La construction du récit est exemplaire, comprenant une description des sentiments et surtout des rapports sociaux qui se fait ici par le biais de la saillie et du sarcasme. Une phrase bien tournée, une formule bien sentie et les réalités injustes de tous ordres sont balayées. Aussitôt qu’elle maîtrise le vocabulaire et les codes, Marie Caillaud qui perd en même temps sa candeur et son accent, s’en donne à cœur joie et pourfend les injustices que son sexe et sa classe sociale ont à endurer. L’aimé lui-même n’échappe pas à sa critique : les flèches acérées qui le visent, paradoxalement, pourraient donner raison à Maurice qui dans sa froide logique machiste s’interrogeait au départ sur l’intérêt d’instruire une femme ! Marie Caillaud ne se sent pourtant jamais l’âme d’une révolutionnaire, toujours douce, souvent résignée, mais elle dit pourtant bien fort ce que la condition des femmes a d’insupportablement injuste dans un beau discours. On ne peut lui reprocher qu’une chose, c’est qu’il reste encore trop d’actualité aujourd’hui !
Ce texte, créé au festival d’Avignon 2019, (l’on est si fier qu’il soit celui d’un auteur vivant), il est difficile de ne pas en tomber amoureux dès les premiers mots. Le voici magnifié par la prestation des deux comédiens. Béatrice Agenin, comme à son habitude, est magistrale. Avec une facilité déconcertante, elle se coule dans deux rôles, celui de Marie et de George. Elle change de personnage, de tonalité et d’accent en une fraction de seconde. Rien ne lui semble impossible, son jeu est de l’art à l’état pur ! Face à elle, Arnaud Denis qui signe également une mise en scène idéale, précise, sobre et ludique, rentre dans les habits de Maurice avec une égale aisance. Il est tout en précision et en justesse, laissant vivre sous toutes ses facettes ce personnage faible, égoïste et parfois sentimental, jusqu’à le rendre attachant. Comment ne pas ressentir la parfaite communion entre l’auteur et les deux interprètes, trio de choc que l’on avait déjà rencontré, il y a peu, dans Mademoiselle Molière, à nouveau réuni ici sous une forme et un sujet différents, mais toujours pour le plus grand plaisir des amoureux du spectacle vivant.
© Fabienne Rappeneau
Marie des Poules, gouvernante chez George Sand, de Gérard Savoisien
Mise en scène : Arnaud Denis
Avec : Béatrice Agenin et Arnaud Denis
Décor : Catherine Bluwal
Lumières : Laurent Béal
Créateur sonore : Jean-Marc Istria
Création marionnettes : Julien Sommer – Le Théâtre des Marionnettes Parisiennes – Champs de Mars
Assistant à la mise en scène : Georges Vauraz
Durée : 1 h 15
Du mardi au samedi à 19 h et dimanche 17 h
Petit Montparnasse
31, rue de la Gaîté
75014 Paris
Réservations : 01 43 22 77 74
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