Critique de Camille Hazard –
Emma et Sam habitent ensemble depuis trois ans. Lui a trente ans et elle en avait 17 quand ils se sont rencontrés. Ils vivent un amour sans égal, dans une fusion parfaite, avec une complicité mordante. Pourtant, la drogue, la dépression, le manque d’argent et de perspective viennent les aspirer dans leur quotidien. Emma, dans un sursaut de vie, tentera par tous les moyens de ramener Sam au bonheur et à la clarté…
© Pierre Rigal
Un goût amer d’enfance perdu
Camille Pawlotsky nous emporte dans une mise en scène simple qui suit et sert le jeu des deux comédiens : Anne Puisais et Stéphane Aubry. Elle a la finesse de ne jamais tomber dans le voyeurisme ni dans la complaisance. Elle aborde avec lucidité et tendresse les thèmes de l’errance, de l’abandon, de la dépendance, de la passion et de la destruction. Emma et Sam sont confinés dans leur appartement, l’espace, le temps n’existent plus pour eux ; ils se sont créé leur réalité et ne peuvent plus en sortir. Sur scène, on assiste à des moments de « vie », des sursauts de lucidité, d’espoir, de malaises profonds, psychologiques et physiques dus à la prise de drogue (qui n’est jamais montrée aux spectateurs) et à leur dépression. C’est Emma, qui tente le plus de ramener un semblant de vie dans cet espace clos, peut être parce qu’elle est jeune et qu’elle a plus d’espoir…Ces deux antihéros sont les porte paroles de toute une génération de fils qui ne comprennent plus la vie, qui ne comprennent plus leurs rôles qu’ils pourraient jouer, qui n’attendent plus rien, sans repère…Emma très jeune a quitté ses parents quant à Sam, il n’y fait jamais allusion dans la pièce. Ce jeune couple terrorisé par l’abandon de l’extérieur se conforte dans leur pièce à vivre devenu pour eux, un fœtus maternel et protecteur : Une tentative de retour à l’enfance inévitable par peur, par incompréhension, par faiblesse et aussi un peu par facilité. La société veut qu’à partir d’un certain âge, on soit adulte et donc responsable, mais qu’en est-il de ceux qui ne veulent pas ou ne peuvent pas s’adapter, qu’en est-il des faibles, des perdus, des désespérés, des improductifs ?? Ceux-là sont seuls. Il arrivera dans la pièce qu’Emma et Sam sortent de chez eux mais uniquement pour combler leur manque d’argent et de médicaments (on suppose qu’il s’agit de méthadone, un substitut de l’héroïne qu’on trouve en pharmacie) . En effet, ils commencent à braquer les pharmacies à l’aide d’un couteau et finissent par y prendre goût : Sam : « Je ne sais pas si c’est l’excitation du braquage, mais je bande. »
© Pierre Rigal
Un lieu en errance
Meubles, chaises, lampes, matelas…Parsèment le plateau ; des objets qui ont vécu, qui ont participé à une vie familiale passée, qui ont vu défiler des fêtes, des disputes, des baisers…Aujourd’hui, ils sont relégués aux quatre coins de la pièce, attendant qu’une main leur redonne vie. Seul un escabeau permet d’entrevoir du bout des pieds l’extérieur. Le décor exigu et sombre apporte une atmosphère pesante et sous tension ; il faut ajouter que la salle « studio » du théâtre de l’Épée de Bois se prête admirablement à cette forme : tout l’espace est construit en bois, rappelant un peu les greniers perdus et inaccessibles, où l’on se perd entre rêves, fantasmes et réalité…Le jeu des comédiens est maîtrisé ; dans un langage réaliste ils arrivent à nous faire parvenir tout au long de la pièce des souffles de poésie. L’acteur Stéphane Aubry (Sam) a une très belle présence et habite profondément ses silences et son malaise. La musique et les lumières, ont été intelligemment pensées : Un leitmotiv dans une tonalité Rock intervient tantôt pour signifier le désœuvrement et la chute de Sam, tantôt pour relever l’énergie et l’espoir d’Emma. Les lumières mettent parfois en valeur les objets, symbolisant la vie passée de ce lieu, et soulignent pareillement, avec une faible intensité, les visages abandonnés de ce couple, faisant ainsi resurgir leur intérieur et leurs états d’âme.
Camille Pawlotsky et toute l’équipe de cette pièce proposent sans prétention, un spectacle de très bonne qualité où rien n’est laissé au hasard, où tout a été soigneusement pensé scéniquement et qui pose de profondes questions. Du théâtre, du bon théâtre !
Emma
D’après : Daniel Keene, « Low »
Par : la cie La Fabrique des Petits hasards
Mise en scène : Camille Pawlotsky
Avec : Anne Puisais et Stéphane Aubry
Texte : Pierre Vignes
Assistant à la mise en scène : Nicolas Chedaille
Scénographie : Marion Thelma
Musique : Pygmy Johnson
Costumes : Louise Alice Véret
Lumière : Cyril Dergent
Maquillage : Lucky N’GuyenDu 1er au 18 avril 2010
Théâtre de l’Épée de Bois
Cartoucherie, Route du Champ de Manœuvre, 75 012 Paris – 01 48 08 39 74
www.epeedebois.com