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Critique • « Le songe d’une autre nuit » mise en scène de Jacques Martial. Paris Quartier d’Été

Juil 24, 2014 | Commentaires fermés sur Critique • « Le songe d’une autre nuit » mise en scène de Jacques Martial. Paris Quartier d’Été

ƒƒƒ article de Denis Sanglard

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Le Songe d’une autre nuit, d’après Le Songe d’Une Nuit d’ Été du grand Will, n’est pas une énième adaptation qui bouleverserait la dramaturgie contemporaine et classique. Non, c’est bien mieux que ça ! C’est le point d’intersection et d’interrogation entre deux cultures, un métissage réussi à l’initiative de Jacques Martial, le metteur en scène, et de Ewlyne Guillaume et Serge Abatucci fondateur du TEK, le Théâtre École de Kokolampoé. Une école née au bord du Maroni, tout là-bas en Guyane française, département dont on ignore tout sauf peut-être que madame Christine Taubira y fut député. 2014 est la première promotion de cette école appuyée par l’ENSATT (école nationale supérieure des arts et techniques du théâtre) de Lyon et le CFPTS (centre de formation professionnelle aux techniques du

© DR

spectacle) de Bagnolet. Aux comédiens issus du TEK, Jacques Martial adjoint les élèves de l’ENSATT de Lyon tout juste sortis de leur cursus. Cette rencontre fait des étincelles qui crépitent longtemps encore après les saluts. Les élèves du TEK sont issus en majorité des bushinengués (les hommes de la forêt) principalement de la communauté saramaka. Et Jacques Martial, intelligemment et avec beaucoup de subtilité, s’interroge sur cette différence. Sur nos différences.

Mais foin d’exotisme de pacotille ! Si la mise en scène épurée, voire sobre, reste somme toute classique _même s’il se plait à prendre à rebrousse-poil certains clichés, dont notre quatuor d’Athéniens amoureux, qu’il tire vers la comédie fleurant parfois la farce et loin de toute affectation_ son attention porte principalement sur cet apport culturel singulier et la confrontation de leur imaginaire avec le nôtre. Ainsi le monde de la forêt, royaume de Titania et d’Obéron, des fées et des elfes, sera intégralement joué en Saramaka. Une heureuse surprise, une intuition qui s’avère juste. Cette langue des forêts, d’une communauté en lien direct avec elle _la forêt_ ouvre un nouvel univers. Il y a pour le coup comme une effraction d’un monde invisible et magique, une brèche ouverte sur un ailleurs, un emboitement de deux espaces qui jamais ne communiquent vraiment. Un univers insoupçonné aux pauvres mortels athéniens en fuite que nous sommes aussi. C’est également la révélation d’une culture qui naturellement ne s’inféode pas à cet univers européen mais la relève d’une pointe d’étrangeté bienvenue. Ce frottement-là, ce métissage, est un formidable atout qui produit un sens nouveau et projette l’œuvre de Shakespeare vers un au-delà d’une superbe poésie. Jacques Martial, en décentrant en quelque sorte ce Songe, réussit un délicat équilibre évitant ainsi le double écueil d’un plaquage grossier d’une culture sur une autre et d’un exotisme, d’un folklore colonialiste où la forme importerait plus que le fond. Non c’est bien au fond, à sa signification profonde que Jacques Martial s’intéresse. Loin de tout ethnocentrisme déplacé ou malvenu. Comme à cette confrontation de deux jeunesses aux antipodes culturelles qui soudain se révèlent par leur différence mise en commun autour de ce projet. Le Songe d’une autre nuit fait de l’altérité non plus un concept mais une réalité.

La mise en scène toute en sobriété ne s’embarrasse guère d’une scénographie complexe. Plateau nu traversé d’un tronc d’arbre mort. Ce sont les corps des comédiens qui dessinent les frontières culturelles, les espaces traversés. Même si les artisans sont, sauf un, des bushinengués, leur façon unique de se mouvoir les éloigne indubitablement des amoureux athéniens. Ce naturel-là, comme dans cette façon particulière d’appréhender et d’énoncer le texte _en français_, aussi étrange puisse-t-il nous apparaître, donne toute sa vigueur et sa poésie à ce Songe. Car la réussite de ce projet tient à la grande cohérence de l’ensemble, jusqu’aux « maladresses » inhérentes à leur jeunesse, qui partant des singularités de chacune des deux parties réussit ce tour pour le coup magique d’offrir une merveilleuse unité.

LE SONGE D’UNE AUTRE NUIT
Mise en scène de Jacques Martial
Adaptation : Nicole Aubry, d’après la traduction de Françoise Morvan et d’André Markowicz
Spectacle en français en Saramaka surtitré – traduction en Saramaka: Kwantie Kwadjani
Collaboration artistique : Ewlyne Guillaume
Costumes : Antonin Boyot-Gellibert assisté de Léa Magnien
Lumières : Frédéric Dugied
Avec la complicité de Nicole Aubry
Avec : Sterela Abakamofou, Serge Abatucci, Kimmy Amiemba, Pierre Cuq, Augustin Debeaux, Sophie Engel, Miremonde Fleuzin, Rosenal Geddeman, Marc-Gyver Jingpai, Belisong Kwadjani, Carlo Kwadjani, Nolinie Kwadjanie, Mathieu Petit, Carlos Remie Seedo

Du mardi 22 au dimanche 27 juillet 2014 à 20h, 16h le dimanche

Théâtre Paris Villette
211 avenue Jean Jaurès
75019 Paris

Réservations 01 40 03 72 23
Resa@theatre-paris-villette.fr
www.quartierdete.com

Tournée: 16/18 octobre à Mana (Guyane)
23/25 octobre à L’Encre/Cayenne (Guyane)
27/31 octobre au Théâtre Macapa (Brésil)
3/8 novembre au CMAC/Atrium à Fort-de-France (Martinique)
13/14 novembre à L’Archipel, scène nationale de Guadeloupe

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