Critiques // Critique • « Moi, Caravage », adaptation du roman de Dominique Fernandez par Cesare Capitani

Critique • « Moi, Caravage », adaptation du roman de Dominique Fernandez par Cesare Capitani

Avr 08, 2010 | Aucun commentaire sur Critique • « Moi, Caravage », adaptation du roman de Dominique Fernandez par Cesare Capitani

Critique de Bruno Deslot

L’incarnation du réel

Peintre iconoclaste créant le scandale autour de ses œuvres, Michelangelo Merisi (1571-1610) dit Le Caravage, se raconte dans l’intimité d’un clair-obscur mettant en lumière l’homme au parcours insolite.

Le cheveu épais, noir et frisé, habillé d’un rien et rompu à l’exercice de la souffrance, Cesare Capitani explore la personnalité complexe du Caravage pour livrer, sans pudeur, l’histoire d’un artiste peintre confessant son parcours dans les limbes de l’indicible, le mystère d’une profonde humanité. Sur une plage déserte, lieu hypothétique sur lequel on l’aurait retrouvé mort, Le Caravage se souvient, s’évoque, s’anime comme dans un songe. Originaire de Caravaggio, petite ville lombarde de la province de Bergame, Michelangelo entre comme apprenti à l’atelier du peintre Simone Peterzano à l’âge de treize ans, puis part pour Rome afin d’intégrer l’atelier Alla Consolatione de Lorenzo Carli dit Lorenzo Siciliano. Chaotiques et mal connues, ces premières années dans la grande cité romaine contribuent à forger sa réputation d’homme violent et querelleur, souvent obligé de fuir les conséquences judiciaires de ses rixes et duels. Après quelques rencontres peu satisfaisantes pour l’artiste, il travaille chez Giuseppe Cesari, dit le Cavalier d’Arpin, où il produit ses premières œuvres de jeunesse tels le Garçon avec un panier de fruits ou le Jeune Bacchus malade. L’érotisme se dégageant de ses peintures lève le voile sur un artiste à la sensibilité singulière, aux prédilections condamnables pour les jeunes hommes. Homosexualité et pédérastie, confusion des genres, l’homme ne peut faire l’économie des procès d’intention dont il est la victime, malgré ses relations influentes. Affaires criminelles mais aussi de mœurs, bagarres, prison, hôpital, les difficultés sont nombreuses mais Le Caravage peint ses tableaux les plus réputés et connaît un succès et une célébrité croissants à travers toute l’Italie. Sous la protection du cardinal Del Monte, il réalise le Martyr de saint Matthieu, la Conversion de saint Paul et la Crucifixion de saint Pierre. Sa Mort de la Vierge fait un tollé et peu de temps après, ayant tué son adversaire lors d’un duel, il est obligé de fuir Rome et commence alors un long périple à travers l’Italie. Romain d’âme et de cœur, il s’efforce d’y revenir mais sans succès. En 1610, apprenant que le pape est disposé à lui accorder sa grâce, Le Caravage s’embarque sur une felouque pour se rapprocher de Rome mais, légende ou rumeur, après quelques mésaventures, il meurt sur la plage le 18 juillet 1610.

Le roman d’une vie

Personnage complexe, trouble et tourmenté, les controverses sont nombreuses à propos du Caravage et il est souvent bien présomptueux de vouloir se saisir d’une quelconque vérité le concernant. S’inspirant du roman de Dominique Fernandez, La course à l’abîme, Cesare Capitani s’intéresse à l’intimité du Caravage, ses désirs, ses angoisses, sa profonde humanité afin de construire un espace de parole libre, une mise en abîme d’un parcours singulier que le théâtre transcende. Sans pudeur et dans une exaltation permanente, Cesare Capitani incarne Le Caravage dans une ode à la vie, une exploration sensible du personnage perdu dans la tourmente de ses désirs les plus fous.

Un décor de fortune plongé dans semi-obscurité, fait naître le visage de celui dont la réputation artistique n’est plus à faire. Habillé d’un rien et coiffé à la diable, le visage prostré, Le Caravage se raconte sans détours. Plantée au milieu de la scène, une colonne pouvant symboliser l’arbre de vie ou l’intérieur des palais de ceux qui furent les commanditaires du peintre, constitue l’obstacle ou l’engagement sans concessions de l’artiste. Lieu de passage, ou d’affrontements, cette verticalité s’érige vers le ciel comme la promesse sans cesse renouvelée d’une vie meilleure, celle que le Caravage posera sur son épaule comme un Portement de Croix avant de la transformer en felouque pour se rendre à Rome. Martine Midoux, interprète les personnalités marquants la vie du Caravage du sceau de l’infortune ou du bonheur simple, dans un tumulte vocal qui peine à trouver sa légitimité dans cette partition aux couleurs sombres. Narrateur omniscient, ses nombreuses apparitions finissent par altérer la théâtralité du projet ou le faire basculer dans un registre jeune public, parfois trop didactique et proche du conte pour enfant. De plus, le récit chronologique esquissé par Cesare Capitani échafaude une galerie de tableaux qui sert de trame à l’histoire mais en appauvrie la dimension intime et charnelle si prépondérante dans cette proposition. Installées dans des boîtes, les bougies font resplendir un clair-obscur métaphorique assez étonnant avec lequel le comédien aurait pu jouer davantage. Cesare Capitani offre une remarquable interprétation du personnage pour lequel il a le physique de l’emploi, la profondeur des traits et la sensibilité adaptée. Il porte son projet a bout de bras mais devrait sans doute se délester de quelques autres pour aller jusqu’au bout de ses désirs les plus intimes, les plus touchants dont il offre déjà une belle palette.

Moi, Caravage
– Création au Théâtre des Amants à l’occasion du 400e anniversaire de la mort du Caravage –
D’après : Dominique Fernandez de l’Académie Française « La Course à l’abîme » (Grasset)
Adaptation : Cesare Capitani
Mise en scène : Stanislas Grassian
Avec : Cesare Capitani et Martine Midoux
Extraits musicaux : Claudio Monteverdi et Giulio Caccini
Chants et mélodies originales : Martine Midoux
Costumes et décors : Evelyne Guillin et Jacques Courtes

Du 18 au 31 juillet 2010
Dans le cadre du Festival d’Avignon OFF

Théâtre des Amants
Place du Grand Paradis, 84000 – Avignon
www.theatredesamants.com

Du 10 janvier 2011 au 7 mars 2012
Théâtre du Lucernaire
53 rue Notre-Dame des Champs, 75 006 Paris – 01 42 22 26 50
www.lucernaire.fr

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