Critiques // Buster, d’après le film La Croisière du Navigator de Buster Keaton, adaptation et mise en scène de Mathieu Bauer au Nouveau Théâtre de Montreuil – CDN

Buster, d’après le film La Croisière du Navigator de Buster Keaton, adaptation et mise en scène de Mathieu Bauer au Nouveau Théâtre de Montreuil – CDN

Nov 19, 2019 | Commentaires fermés sur Buster, d’après le film La Croisière du Navigator de Buster Keaton, adaptation et mise en scène de Mathieu Bauer au Nouveau Théâtre de Montreuil – CDN

 

© Jean-Louis Fernandez

 

 

ƒƒƒ article de Nicolas Thevenot

Faire un spectacle performatif à partir d’un film muet, c’est le pari risqué de Mathieu Bauer, musicien, metteur en scène et directeur du Nouveau Théâtre de Montreuil depuis 2011.

Mais dire cela, c’est en fait avouer une perte de mémoire collective, car le cinéma, à ses débuts, était tout sauf l’expérience profondément individuelle qu’elle est devenue bien que partagée par des foules de spectateurs dans les gigantesques multiplexes qui ont envahi nos villes et banlieues. Il faut se rappeler comment ce cinéma primitif pouvait faire événement dans la salle et toucher viscéralement aux affects de l’enfance qui subsistent en chacun, provoquant une peur physique à prendre ses jambes à son cou, suscitant un rire ou des larmes inconnues jusque-là, bouleversant cette communauté que l’on appelle public comme une mer démontée. Se souvenir combien le cinématographe était une performance !

Mais tout cela semble faire partie d’un passé révolu, le développement de la télévision, supplantée plus récemment par l’avènement des smartphones et des Netflix en tout genre, a fait dériver l’expérience d’une vibration commune dans la chaleur d’une foule vers la froide consommation purement individuelle.

Buster nous fait cet immense cadeau : recréer, l’espace d’une soirée, cette communauté aujourd’hui disparue, celle du cinématographe, celle-là même qui fut inventée par les frères Lumière et qui consiste à regarder et vivre profondément ensemble l’expérience d’une projection. Pour cela, Mathieu Bauer réactive ce qui participait à son essence originelle : la musique jouée en direct, mais également en y adjuvant deux autres catalyseurs de l’instant présent : un fildefériste et un conférencier. Avec ce trio de performers live, Mathieu Bauer compose un objet non-identifié entre film concert, conférence et théâtre-circassien, dans une sorte d’alchimie fusionnant analyse filmique, digression poétique, équilibre, déséquilibre, ligne de crête, percussions, souffles du saxo, claviers, et images animées de La Croisière du Navigator, le chef d’œuvre de Buster Keaton.

Les instruments ont changé, en lieu et place du piano dans la fosse ouverte devant le grand écran blanc, mais la puissance d’actualisation d’une musique jouée en direct reste inentamée : mariage de l’éphémère présent vibratoire et du temps passé, pétrifié dans les images animées du cinéma.

Ce qui se vit avec Buster c’est le moment présent de la note qui se met à onduler à la surface des images. La composition orchestrale de Sylvain Cartigny produit une caisse de résonnance propice aussi bien à la fiction projetée qu’aux plus belles divagations. Il y a un ailleurs, il y a un imaginaire. La musique nous y embarque et nous fait toucher encore plus sensiblement l’étrange continent Buster Keaton que si nous avions appareillé avec la classique partition de piano. C’est un rêve éveillé que l’on suit avec son âme d’enfant !

Particulièrement inattendues encore, les deux autres initiatives de Mathieu Bauer. Tout d’abord adjoindre au dispositif ce fil de fer amarré à l’écran de cinéma comme une tyrolienne en écho à une des dernières scènes du film : Arthur Sidoroff marche sur le fil au-dessus du vide, aller et retour, marche arrière comprise, et à chaque fois, ce saisissement du spectateur, propre aux arts du cirque, qui de manière très subtile, tisse ces fils de réel dans le dispositif lui donnant encore un peu plus ce sentiment d’immédiateté.

Enfin, il y avait l’idée qui semblait a priori la moins aisée : cet homme, surgissant en cape chatoyante de magicien, Stéphane Goudet, maître de conférences en histoire du cinéma à Panthéon-Sorbonne et directeur artistique du cinéma Le Méliès, intervenant lors d’arrêts sur image pour partager une analyse filmique. Oui, au premier abord, on a craint la redondance avec le film projeté, on a redouté la mort de l’imaginaire et du rêve, un peu comme une étiquette posée sur un tableau, mais finalement c’est tout le contraire qui se produisit : la profération portée par la lame de fond d’un amour réel pour le cinéma burlesque, piquée d’un zeste d’humour, au lieu de rompre le charme, souleva encore plus loin la vague d’émotion générée par chaque séquence du film. Il y a quelque chose de profondément beau et juste dans ce que Stéphane Goudet nous raconte, parce que cette chose est sensiblement reliée à sa propre expérience de spectateur, loin de toute analyse universitaire convenue et refroidie. Cette parole proférée est épique car elle n’a de cesse de soulever en nous et dans le film ce qu’il y a de plus précieux mais que l’on a fini par ne plus voir dans l’œuvre de Keaton et en chacun de nous : cet enfant qui échoue et pourtant n’abandonne jamais, continuant à inventer ses châteaux de sable quand bien même la réalité l’abandonne. Le zéro et l’infini.

Ressuscitant l’acte performatif du cinéma et plus particulièrement du burlesque, Mathieu Bauer rend ainsi ses lettres de noblesse à un art bon enfant, expression d’un rapport au monde et à la vie qu’il ne faudrait jamais avoir perdu, et qui donne la force de croire en ses désirs.

 

 

© Jean-Louis Fernandez

 

 

Buster, adaptation, montage et mise en scène de Mathieu Bauer

D’après le film La Croisière du Navigator de Donald Crisp et Buster Keaton

 

Avec Mathieu Bauer, Sylvain Cartigny, Stéphane Goudet, Arthur Sidoroff, Lawrence Williams

Collaboration artistique et composition Sylvain Cartigny

Dramaturgie Thomas Pondevie

Texte Stéphane Goudet

Scénographie, création lumière et régie générale Xavier Lescat

Création son Dominique Bataille

Création costume Nathalie Saulnier

Montage vidéo Florent Fouquet

Assistanat à la mise en scène Anne Soisson

 

 

Durée 1 h 30

Du 14 au 16 novembre 2019

 

 

 

Nouveau théâtre de Montreuil – CDN

Salle Jean-Pierre Vernant
10 place Jean Jaurès, 93100 Montreuil

www.nouveau-theatre-montreuil.com

Réservation : +33 1 53 45 17 17

 

 

Tournée :

 

22 janvier 2020

LUX Scène nationale, Valence

36 bd du Général de Gaulle

26000 Valence

www.lux-valence.com

Réservation 04 75 82 44 15

 

 

 

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