Ce qui frappe et fouette le regard, c’est la qualité aiguë des corps, l’arête des contours, l’écho des présences dans l’enclos d’un espace mental. Œuvre totale, belle et rebelle, lascive et éruptive, UNARMOURED accouple danse et musique dans une jouissive et insatiable quête du plaisir. Ce qui s’adonne et se donne à voir possède la fulgurance et la pénétration du trait de fusain, même dans ses immobilités. Ce n’est pas tant cette atmosphère grise, brouillard et lumière d’un bas fond interlope, ni même les tenues résolument urbaines, pouvant assurément évoquer l’univers du manga, mais c’est bien plutôt la fière résolution des postures, dont les courbes ondulantes déploient fermement leurs desseins, qui nous plonge dans une expérience touchant au fondement de la picturalité. L’impression que laissent ces figures aux traits pleins se tordant et brûlant d’un inextinguible feu est pareille à une eau-forte creusant ses motifs à travers nos mémoires et nos représentations.
La chorégraphie est celle d’un paysage humain remembré par la ligne du désir sexuel. Le trouble est ici net. Sans ambiguïté sur ses fins. Son centre est le bassin. Son mouvement est un roulement perpétuel pareil aux rouleaux de l’océan, rejetant l’écume de ses caresses sur la toile du visible. L’érotisme d’UNARMOURDED comble les corps de désir jusqu’à les rendre opaques, semblables à des diamants noirs. Clara Furey travaille ses compositions comme une superposition de plans parallèles, disséminant des temporalités distinctes d’un groupe de corps à l’autre, écartelant ainsi nos perceptions, nous arrimant à l’ondulation souterraine et souveraine qui meut les sons et les muscles. A genoux, ou à quatre pattes, ou encore debout, à deux, à trois ou seul, c’est la même vibration qui traverse les corps et les esprits. Le geste prosaïque, comme un retour du réel, peut percer la surface de la représentation telle cette main qui claque l’intérieur d’une cuisse ou ce pouce subrepticement sucé. Les cinq danseurs atteignent à une sorte de corps collectif sans organe, sans plus aucune hiérarchie mais tous connectés, formant un monde intégralement érogène. Les hanches se meuvent comme des bielles mécaniques, les yeux roulent dans les orbites comme des roulements à bille, les torses se dressent et se cambrent comme autant de pieds de biche forçant une porte close. Et puis il y a ces regards, précis, triangulant d’un corps à l’autre, en découpant une partie, ou nous prenant à partie, car l’érotisme est évidemment cela en premier lieu : un partage du sensible, un réel à la découpe pour en faire son fétiche.
A l’instar des mondes déployés sous la plume de l’écrivain Pierre Guyotat, UNARMOURED est un univers et une cosmogonie en soi, produisant ses propres lois, créant sa propre éternité, où les corps tressaillent, succombent et exultent sans fin. Il y a indéniablement une sainteté de la chair, un héroïsme du sexe dans les représentations que façonne Clara Furey, avec très explicitement ces danseurs bras et mains liés verticalement au-dessus de leurs têtes, torses offerts à la morsure du désir, ou chez Chéline Lacroix, béate et accorte bacchante, vierge folle du cantique du désir. En les voyant ainsi se contorsionner, ou encore jaillir comme emportés par de grands chevaux, portant les stigmates d’un orgasme dont le centre est partout et la circonférence nulle part (dirait Pascal), ils paraissent semblables aux convulsionnaires de Saint-Médard, au croisement de Sade et de Saint-Sébastien, ne manquant de provoquer quelques réactions outrées, osant toucher à un absolu dont l’incarnation serait un comble.

UNARMOURED,chorégraphie en collaboration avec les performeur·ses : Clara Furey
Performeur·ses : Justin de Luna, Clara Furey, Chéline Lacroix, Brian Mendez
Composition musicale et spatialisation : Twin Rising
Témoin artistique : Bettina Blanc Penther, Aïsha Sasha John
Répétiteur·ices : Lucie Vigneault, Simon Portigal
Conception costumes : Be Heintzman Hope
Conception lumière : Paul Chambers
Assistance à la conception lumière : Jordana Natale
Direction technique : Jenny Huot, Darah Miah
Photos de l’article : © Kinga Michalska
Durée : 1h
Du 15 au 16 octobre 2025 à 19h30
Carreau du Temple
2 Rue Perrée
75003 Paris
Tél : 01 83 81 93 30

