Hocine Kadiri, dix-sept ans, a disparu. Le metteur en scène Antoine Morceux est le dernier à l’avoir vu. Coupable ? Les inspecteurs mènent l’enquête et de péripéties en péripéties, de coup de théâtre en coup de poker, bientôt les masques tombent. Enfin presque… Céline Fuhrer et Jean-Luc Vincent, ex Chien de Navarre, signent un vrai-faux polar où les codes du genre sont torpillés allégrement. Mais pas que… cette enquête dans le milieu de la culture est un vrai jeu de massacre jubilatoire qui dézingue avec un plaisir non dissimulé les faux-semblants d’un entre-soi où le pire est toujours certain. Les références pour qui connait ne manquent pas (Rancière, Beckett, Vitez, Hossein, Duras, Thomas Bernhard, Yoshi Oïda, sulfatés !) Antoine Morceux qui ne sort pas grandi dans cette affaire, mais n’oublions jamais la présomption d’innocence, est surtout le révélateur des travers d’un milieu culturel en déroute, en proie à ces démons coutumiers, certes, mais aussi et plus globalement des dysfonctionnement d’une société du spectacle qui se repait du fait-divers devenu comme au théâtre, cathartique. Et justement, en parlant de théâtre, voilà qui est bien malin, nos deux auteurs, toujours aussi retors, pimentent le tout en dénonçant leur propre projet, puisque tout ça à quoi nous assistons hilare, n’est qu’une répétition de leur création qu’ils finiront par interrompre dépités de tant d’amateurisme. Et tombe avec fracas le quatrième mur qui vous projette de fait dans la réalité. Enfin, toute relative. Comme elle s’invitait déjà et d’emblée dès le commencement par l’arrivée de deux retardataires bougonnant d’être relégués sur des tabourets et qui ne sont autre que nos deux impétrants auteurs ne tardant pas bientôt à monter sur le plateau. Bref, une mise en abîme sarcastique où ils ne s’épargnent guère non plus. Mais encore tout ça n’est qu’un faux-nez, la vraie question posée est ailleurs, sérieuse pour le coup, dans le traitement de la réalité et de ses conséquences que tout faits-divers de façon exemplaire suscitent. Quid de la vérité ? Entre le vrai et le récit, question d’actualité en ces temps délétère où le récit l’emporte sur le vrai, s’engouffre le mensonge. Le théâtre est le lieu du mentir-vrai consenti, de lui on attend une vérité, une épiphanie. Seulement dans une société où l’instrumentalisation du mensonge est une variable du récit au détriment du vrai, la fiction – ici le théâtre – resterait le dernier rempart de la vérité. C’est sacrément tordu mais le raisonnement qui pourrait presque tenir du syllogisme est imparable. Rien de barbant pourtant dans le traitement, bien au contraire, Céline Fuhrer, Jean-Luc Vincent et leurs acolytes, dans cette partie de Cluedo jubilatoire et totalement azimutée, ont le génie de la parodie caustique et mordante, la science du gag opportun et jamais appuyé. Tous les clichés de la série-noire, des séries télévisuelles sont passés au laminoir. Inspecteurs et magistrats, perruques improbables et moustaches de travers, stéréotypés comme il se doit, chargés, pilonnés sans respect. Il n’y a pas jusqu’au choix du générique, une vraie scie, qui ne soit pas un clin d’œil plein d’humour. On croise même, hommage chabrolien une inspectrice Lavardin. Sont dénoncé aussi non sans cruauté, dans le flash-back où Morceux (pauvre Camus…) fait répéter Phèdre (pauvre Racine…), les comportements tyranniques, les egos hypertrophiés des metteurs en scène, la soumission ou l’opportunisme des acteurs, humiliés comme il se doit. C’est énorme, c’est très drôle, c’est inquiétant, et cela sent le vécu à plein nez… « Le polar est une bouée de sauvetage pour explorer l’humain disait Claude Chabrol, on peut y présenter les pièges de l’existence, une énigme qui est totalement ou partiellement résolue à la fin du film ». Nous ne dirons rien de la résolution de cette affaire, gardons le suspense, l’important dans ce polar philosophique plus que métaphysique aussi drolatique qu’instructif concocté par Céline Fuhrer et Jean-Luc Vincent est bien dans cette exploration de l’humain et de son rapport avec la vérité quand l’existence le piège.
Polar(e), texte et mise en scène Céline Fuhrer et Jean-Luc Vincent, au Théâtre du Rond-Point
Avec Céline Fuhrer, Robert Hatisi, Nabila Mekkid, Cédric Moreau, Alexandre Steiger, Jean-Luc Vincent
Création sonore et régie générale : Isabelle Fuchs
Musique originale : Christophe Rodomisto
Scénographie : François Gauthier-Lafaye
Costumes : Elisabeth Cerqueira
Création lumière : Ludovic Bouaud
Régie plateau : Jessica Manneveau
Stagiaire mise en scène : Julien Weil
Ave les voix de Barbara Chanut, Servane Ducorps, Claire Dumas et la participation de Matteo Perez
Photo © Yannick Debain

Du 5 au 22 novembre 2025
Du mardi au samedi à 20h30
Les 15 et 22 novembre à 16h30 et 20h30
Dimanche 9 à 16h30
Relâche le 10,11,16, 17 novembre
Durée 1h35
Théâtre du Rond-Point
2bis avenue Franklin D-Roosevelt
78008 Paris
Réservations : 01 44 95 98 21

