Mémoire de fille, un spectacle noir et blanc pourrions-nous dire, dont on ne ressort pas époustouflé tout en n’ayant pas vu passer le temps ? Oui, sans doute. Ce seule en scène est donc tiré d’un récit autobiographique d’Annie Ernaux, publié en 2016 et dans lequel une jeune femme, Annie, raconte sa première expérience loin de chez elle, dans une colonie de vacances dans l’Orne, en 1958. Elle a 17 ans, doit s’occuper de gamins. Elle y arrive heureuse et émoustillée, presque, sa mère n’est pas là et surtout, mon Dieu, elle y rencontre un moniteur plus âgé qu’elle, oui il a 22 ans, et dont elle tombe forcément amoureuse sur le coup, pour la vie, il est beau, bien foutu et… tout se termine mal pour elle. Parce qu’hélas, allongée sur le lit du jeune homme, elle attend plus de lui que ce qu’il ne veut ou peut lui donner. Dans cet ouvrage Annie Ernaux évoque bien évidemment un épisode de son passé, oui, récit reprenant une version mise en scène tout d’abord en allemand, à la Schaubühne de Berlin. Annie jeune, Annie plus âgée, Annie qui nous raconte son histoire, sa découverte de « l’aventure amoureuse », express en l’occurrence et au profit évident de son partenaire.
On évoque dans le document de présentation de ce spectacle, une « adaptation sensible et distanciée », du livre d’Annie Ernaux. C’est le moins qu’on puisse dire. La distance surtout, on est très rapidement perdu face à cette adolescente qui apparemment ne l’est plus un quart d’heure après mais sautille toujours avec la même voix, (quelle veinarde, vieillir de cette façon, comment fait-elle ??). Ce personnage extrêmement bien mis en place par Suzanne de Baecque nous promène, nous raconte des aventures vécues il y a cinquante ans, puis exactement le même personnage sort presque son portable pour nous raconter grosso modo la même chose, oui, une mauvaise première aventure qui l’a profondément marquée. Un éboulis de patati-patata sur le même sujet avec les mêmes termes, et de la même façon, tiré du texte d’Annie Ernaux et sur lequel se greffent d’autres textes de Veronika Bachfischer, et, pour la version française présentée ici, de Suzanne de Baecque. Les voix se multiplient aussi, le micro apparaît et disparaît. Tout cela autour d’un immense et multiple miroir, qui danse, se plie, réfléchit d’une façon ou d’une autre, avec le même talent, sans aucun doute, que Suzanne de Baecque, à la fois elle-même et les deux autres personnages du récit. La violence est présente, la soumission devinée, reconnue. Et présentée, il faut le dire, d’une façon presque légère, qui nous plonge presque véritablement dans ce récit. Les ajouts d’autres textes sont-ils ce qui nuit complètement à Mémoire de fille ? On se perd, on se noie et glisse dans une différence répétée. Le sujet pourrait être fort mais ne se développe pas. Il s’ouvre et se ferme comme le joli paravent géant. Un ou deux éclats de rire surprenant éclatent et on se demande bien pourquoi. Annie est seule sur scène et parfois en lien direct avec les spectateurs, lumière différente, saut d’une époque à l’autre ? Et quatre voix différentes sont annoncées. Ah bon ? Où se cachent-elles ? Derrière le miroir ?
Mémoire de fille, soutient l’intérêt, magie sans aucun doute du talent de Suzanne de Baecque, oui, mais ne le renverse pas. Pour cette histoire qui pourrait se définir comme importante dans une vie, on est face à un cirque remuant heureusement, empruntant et répétant des routes si multiples qu’on termine par s’y perdre. La représentation de ces événements de 1958, de ces souvenirs qui ont marqué une vie ne marqueront pas la nôtre. Répétitions tournicotantes, hier et maintenant mêlés, façon joli foulard dans une machine à laver, encore et encore. On devrait être touchés, on ne l’est pas.

Photos © Marie Clauzade
Mémoire de fille, d’après Annie Ernaux
Avec des textes originaux de Veronika Bachfischer
Et des textes supplémentaires pour la version française de Suzanne de Baecque
Mise en scène de Sarah Kohm
Assistanat à la mise en scène : Franziska Baur et Coline Le Bellec
Interprétation simultanée : Franziska Baur
Création sonore : Leonardo Mockridge
Scénographie et costumes : Lena Marie Emrich
Costumière et accessoiriste : Lucie Lizen
Maquillage et coiffure : Coraline Monfort
Lumières : Thomas Clément de Givry
Dramaturgie : Élisa Leroy
Traduction des textes : Veronika Bachfischer Isabelle Liber
Avec Suzanne de Baecque
Et les voix de Lou Chauvain, Mélodie Richard, Élizabeth Mazev, Christine Guerdon
Du 26 novembre au 6 décembre 2026
Durée du spectacle : 1 h 40
Théâtre de la Ville – Les Abbesses
31, rue des Abbesses
75018 Paris
Réservations : 01 42 74 22 77
www.theatredelaville.com
Tournée 2026 :
23 – 25 janvier : Théâtre des Capucins, Luxembourg
13 février : Théâtre des Salins, Martigues

