
© H. Bellamy
fff article de Denis Sanglard
Une fable lapidaire, sans fioriture, sèche comme un coup de trique. Parce qu’il s’est cru menacé d’une pierre qui n’était qu’une gourde d’eau, un marchand tue son employé. Reconnu coupable il est pourtant acquitté, la peur que lui inspirait la condition de ce misérable justifiant la légitime-défense. Il ne peut y avoir d’exception dans l’ordre des choses : qui domine, même dans la peur, ne peut concevoir l’humanité de celui qu’il domine, lequel par nature ne peut qu’haïr la classe dominante. Ainsi le geste du marchand se justifie que reconnait la justice dont le fléau penche toujours, inévitablement, du côté du plus fort. « Et c’est bien ainsi » écrivait Brecht avec une bonne dose de provocation, résumant laconiquement une société profondément fracturée, empoissée dans le déterminisme de classe et le fatalisme. L’exception et la règle ne dénonce rien de moins que cette violence-là.
C’est en préambule à La mort d’Empédocle d’Hölderlin, que Bernard Sobel met en scène ce court texte de Bertold Brecht. Avec la même économie de moyen radicale. Au centre de ce très beau plateau, la salle de pierre du Théâtre de l’Epée de bois, ils sont dix jeunes comédiens issus de La Thélème Théâtre Ecole et formés par Julie Brochen, complice de longue date du metteur en scène, formant à genoux un chœur sans coryphée. On peut y voir de la part de Bernard Sobel une histoire de transmission et de son importance. Le texte circule de l’un à l’autre, tout à tour marchand, guide ou coolie, n’omettant ni chapitrages, ni didascalies. Un même souffle les anime qui fait claquer ce texte avec énergie sans que jamais nous ne perdions la trame et les enjeux qui mènent au procès, les voyant dès lors s’effacer, devenir témoins, de ce jugement. Là, Marc Berman (Le marchand), Julie Brochen (La femme du coolie), Boris Gawlik (L’hôtelier), Claude Guyonnet (Le juge), Matthieu Marie (Le guide), Sylvain Martin (Le chef de la caravane) et Félix Winterhalter (L’Assesseur) prennent le relai. Rien ne fait obstacle au texte. Bernard Sobel n’use d’aucun artifice dramaturgique, une épure tranchante et sans concession pour un résultat des plus lumineux, une perfection formelle qu’on lui reconnait comme signature, pour mettre au centre et sans la dénaturer la parole dans son évidence et sa portée universelle. Les comédiens eux-mêmes n’en font pas plus que ça, un jeu retenu et allégé de tout effet, une soumission à ce qui est proféré qui oblige à une relative sobriété. Point d’éclat, ou vite étouffé, car ce qui importe ici est d’atteindre et d’extraire la vérité nue derrière la fable et la juste critique de Bertold Brecht avec sans doute l’espérance non de changer le monde, mais d’ouvrir au moins grand les yeux sur sa réalité dystopique et en quoi ce texte interroge notre présent aujourd’hui menacé.

© H. Bellamy
L’exception et la règle, de Bertold Brecht
Mise en scène de Bernard Sobel
Assisté de : Sylvain Martin, Jean-Baptiste Martin
Traduction : Bernard Sobel, Jean Dufour
Dramaturgie : Daniel Franco
Avec : Julie Brochen, Marc Berman, Claude Guyonnet, Boris Gawlik, Mathieu Marie, Sylvain Martin
Et les comédiens de la Thélème Théâtre Ecole : Balthazar Corvez-Jubin, Léone Féret, Anna Gallo, Léo Michel, Ursula Ravelomamantsoa, Valentine Regnier, Samy Taibi, Alma Teschner, Lucie Weller, Félix Winterhalter
Création lumière : Laïs Foule
Régie lumière : Madeleine de Kerros
Du 20 février au 02 mars 2025
Du jeudi au samedi à 19h, le dimanche à 14h30
Durée 1h
Théâtre de l’Epée de bois
Cartoucherie de Vincennes
2 route du champ de manœuvre
75012 Paris
Réservations : 01 48 08 39 74
