C’est une performance réjouissante, immorale, impudique, indécente, autrement dit obscène. Ne nous y trompons pas, c’est un compliment, une révérence. Si l’obscène consiste en la mise en scène du corps, en sa dramatisation, en celle de situations tabous pour une société, autrement dit transgressives pour l’ordre et le politique, alors La putain de performance est obscène comme toute représentation critique l’est. L’obscène est une machine de guerre contre la métaphore, comme le définit le psychanalyste Serge Tisseron, parce qu’il n’y a rien d’autre à voir, à comprendre que ce que l’on nous montre. L’obscène est ce renversement qui fait basculer l’intime dans le champs du public.  Surtout quand cette bascule volontaire cristallise toutes les crispations, les tabous d’une société bien-pensante. Ce n’est pas tant la représentation du corps et sa mise en scène qui est en soi obscène mais son usage résolu quand il n’est plus un artifice esthétique mais qu’il dénonce une réalité inavouée, obscène justement, un hors champs et que ce hors champ est transgressif, révélant et dénonçant le regard porté sur l’objet exposé. Alors La Bellini, par son expérience vécue et son discours réfléchi, est une artiste obscène, comme peuvent l’être Annie Springfield ou plus proche d’elle Grisélidis Réal, « catin révolutionnaire ». Car Séverine Bellini, artiste cabarettiste, circassienne, contorsionniste, stripteaseuse burlesque est aussi escort. Escort, travailleuse du sexe, un choix délibéré, une vocation chevillée au corps comprend-on, qu’elle explique ici, objet de cette performance magistrale dont la crudité assumée mais sans jamais une once vulgarité, l’intelligence n’a d’égale que sa force subversive. Une profession dont elle témoigne avec franchise et sans circonvolution inutile, avec un humour ravageur, comme un manifeste militant visant à lutter contre le regard moral, politique et réactionnaire, voire les clichés tenaces, abscons et souvent vulgaires, porté sur les travailleuses du sexe. Si elle avoue sans malice et ce n’est pas anodin aimer simplement le sexe, le plaisir qu’il procure, même avec ses clients, elle n’édulcore aucunement des difficultés rencontrées parfois. Clients qui n’ont rien de pervers ou de détraqués, ce peut être vous et moi, votre voisin, votre conjoint, et l’on songe au Carnet de bal d’une courtisane de Grisélidis Réal, ce petit carnet noir, recension de ses clients, hommes somme toute banals ne cherchant qu’à pouvoir assouvir leur sexualité parfois tourmentée, souvent frustrée, ou simplement trouver un peu de réconfort. La Bellini se dit profondément féministe – Elle l’est qui a créé le premier cabaret féministe, Victor/Victoria, avec la chanteuse Robi et la cabarettiste burlesque et poétesse Madame – mais ce n’est pas tant contre les hommes qu’elle lutte, elle les aime et l’affirme, que contre la violence d’un patriarcat toujours tenace et aux abois et dont les hommes sont aussi les victimes par les injonctions qui les obligent. Être travailleuse du sexe, par la marge dans laquelle on vous enferme, par l’exclusion dont elles sont victimes, par le pouvoir politique qui les condamne en toute hypocrisie, vous décille salement sur la violence d’une société qui n’en a pas fini avec ses interdits contradictoires et délétères. C’est aussi ça qui est exprimé brillement, avec lucidité, et sans pathos aucun. La Bellini pourrait être une chienne de garde, une femen mais loin de toute polémique abolitioniste elle a choisi le cabaret, lieu de toutes les transgressions, de l’irrévérence et d’une liberté frondeuse. Un bel et juste écrin pour cette artiste talentueuse où cette performance imparable devient un témoignage précieux, d’importance, en adresse direct au public. Point de quatrième mur ici ce dont elle joue avec une force de frappe peu commune, soulevant très vite une salle sidérée par l’audace de cette proposition salutaire. Ce corps statuaire sculpté et délié par la contorsion qu’elle exhibe aussi frontalement, sans pudeur aucune, sans effronterie mais avec un naturel confondant, c’est une affirmation crâne de sa liberté absolue et qu’il lui appartient, de ce corps, d’en faire ce qu’elle en veut. Parce que le corps, dans sa volonté d’émancipation, dans sa mise en danger, est toujours un enjeu politique conflictuel. Être escort, comme être artiste de cabaret, c’est être affranchie de tout regard, être sans compromis, c’est du pareil au même. Cette performance le prouve qui résume une carrière entre ses deux pôles gémellaires qui s’alimentent, s’enrichissent l’un l’autre. Si notre personnalité sociale est une création de la pensée des autres, affirmait Proust, il y a belle lurette semble-t-il que La Bellini n’étant que sa propre création têtue, dément cette assertion. Chaque numéro de cabaret intercalé, contorsions et burlesques qui se jouent parfois du genre, au-delà du talent indéniable, porte l’empreinte d’une expérience peu commune, l’expression d’une pensée militante traversée par cette expérience même.

Catherine Millet* affirme avec raison « [qu’une]une action destinée à interroger et à ébranler le consensus social n’a vraiment de portée qu’à condition que son auteur soit le premier à s’interroger et à ébranler sa conscience. » On ne serait mieux résumer La Bellini et en cela elle est inattaquable.

*le corps exposé, Ed Cécile Defaut

La putain de performance : écriture, mise en scène, chorégraphie, costumes et scénographie de Séverine Bellini

Avec : Séverine Bellini

Création régie lumière :  Auden

Création et arrangement sonore : Laurent Paulré, Kahina Ouali

photos © Antoine Monégier

Le 20 novembre & le 18 décembre 2025 à 20h30

Durée 1h40

Le cirque électrique

Place du Vercors

75020 Paris

Réservation : www.cirque-electrique.com