
© Gaëlle Héraut
ƒƒƒ article de Nicolas Brizault-Eyssette
La Part Sombre est un spectacle intelligent, puissant, nous apprenant beaucoup sur cette maladie, la schizophrénie, dont on peut entendre parler ici ou là sans forcément en connaître grand-chose. Joli mot, puissant et résonnant, oui, bien sûr. Voir tout ça de plus près, de l’intérieur même, c’est autre chose.
Maï David est co-autrice de ce texte, et sur scène, elle ne nous raconte rien d’autre que sa propre histoire, violente, arrivée il y a quelques années. Avec une finesse, une force époustouflante. Les spectateurs rejoignent une petite scène en empruntant une suite d’escaliers. Dans la salle, quelques rangées de fauteuils seulement. Puis une table devant nous. Et très vite, là, une femme sympathique nous parle de son goût pour le théâtre, de son entrée dans un spectacle, de ce qu’elle doit faire sur un texte de Shakespeare, Titus Andronicus, comment sont les autres comédiens avec elle, etc. Elle a un petit rôle, en dirait volontiers davantage sur son talent, sa force, mais n’en a pas le temps. Puis Shakespeare devient Molière, Titus, Le Misanthrope. On voit là une sorte d’introduction, longue, un peu lente même, malgré deux ou trois instants ou le rire apparaît… Une petite impression de glissement, des nœuds tout doucement se font. Elle nous parle de son chéri, de son bébé. Jolie vie. Elle parle, parle puis tout glisse, imperceptiblement. La Part Sombre apparaît. Des voix envahissent la scène, Maï David s’y prend les pieds si l’on peut dire, dans sa voix, elle glisse sur des phrases étranges, au sens incertain, qui se battent, s’emmêlent, vont et viennent. Elle épouse une violence autocentrée, se bat, se cogne, les bleus l’envahissent. Alcool ? Produits insensés vendus au coin d’une rue ? Non, non ! Ses proches parlent d’hôpital. Les voix, les ombres refusent. Puis les pompiers débarquent et l’y emmènent, sans doute un soir sous une pluie de voix plus forte.
La schizophrénie s’est installée en elle pour cinq ans. C’est toutes ces années que Maï David évoque. Oui, Maï David nous parle d’elle, s’expose. Place devant nous les symptômes, puis la schizophrénie elle-même. Les glissements qu’elle provoque vers un vide multiple. La perte de surface. Un abandon de la réalité, tout en restant là, quelque part, sans doute. Il ne faut pas imaginer de hurlements dans tous les sens, un témoignage recherchant une gloire absolue, non. Maï David offre simplement la vérité à travers La Part Sombre. Ce qu’elle a traversé, ce que cette maladie a infligé, en elle et tout autour. Ce que la schizophrénie peut être, qu’il est possible de s’en sortir. Comment son travail de comédienne l’aide ici, et permet autour d’elle de mieux comprendre, approcher ce sujet que l’on aurait tendance à cacher. La Part Sombre devrait, pourquoi pas être présentée à des étudiants de médecine.
Il faut parler aussi de la discrétion de ce spectacle, un peu plus d’une heure d’une force fulgurante mais sans roulements de tambour. Les sourires sont là, une envie de remercier Maï David de ce qu’elle apporte à celles et ceux qui sont encore face à face avec cette maladie, soit plongés dans les hurlements, entourés de médecins, soit s’inquiétant, espérant… Mais il faut redescendre lentement de La Part Sombre, pouvoir ressentir encore, en quelque sorte, tout ce qui nous a été permis d’y découvrir. Un spectacle époustouflant, un délicat coup de poing.

© Gaëlle Héraut
La part sombre, écrit par Maï David et Gaëlle Héraut
Mise en scène par Gaëlle Héraut
Lumières : Nolwenn Delcamp Risse
Avec : Maï David
Du 16 septembre au 9 octobre 2025
A 21h, sauf les samedis, à 20h
Durée 1h15
Théâtre La Reine Blanche — Scène des Arts et des Sciences
Salle Marie Curie
2 bis, passage Ruelle
75018 Paris
Réservation 01 40 05 06 96
www.reineblanche.com
Production : Compagnie Bravo Théâtre
Coproduction : MJC-CS Ti an Dud de Douarnenez, Ville de Combrit
Avec le soutien de : L’Armorica à Plouguerneau, Centre Culturel Bleu Pluriel de Trégueux, Le Strapontin – Scène de Territoire de Bretagne pour les Arts du Récit, Pont-Scorff.
Repris à Brest en octobre et décembre 2025 et du 10 au 13 février 2026 au CDN de Nancy, La Manufacture

