William Shakespeare était avant tout un poète. If Music be the food of love en témoigne parfaitement ; trente sonnets, assortis de chansons issues de l’œuvre du dramaturge y abordent des sujets tels que l’amour, le beau, la politique, la mort ou encore le temps qui passe.
Alexandre Martin-Varroy nous les adresse au présent dans un poème narratif fluide, avec délicatesse, naïveté, espièglerie, amertume, au service d’un auteur qu’il admire, d’un jeune homme dans l’enfance de l’art qui va progressivement vieillir durant 1h 20 Fatigué de ce monde je demande à mourir, / lassé de voir qu’un homme intègre doit mendier / quant à côté de lui des nullités notoires / se vautrent dans le luxe et l’amour du public.
Les références au théâtre sont omniprésentes sur scène : rideaux à frange argentés, miroirs, cadres déplacés comme des médaillons, lit et couvertures, bureau hétéroclite telle la boutique d’un brocanteur, costumes mis ou enlevés à vue… on pourrait se croire dans les coulisses, la loge d’un acteur, l’endroit où il se recentre avant d’affronter le public, l’antre de l’auteur quand il remanie son texte, peaufine ses effets, endroit mystérieux, interstice entre réalité et fiction. Alexandre Martin Varroy semble ainsi rappeler, comme le faisait Shakespeare lui-même, que la vie est une comédie et le monde une scène, les relations amoureuses étant sans doute le domaine dans lequel nous nous plaisons le plus à jouer un rôle. La forme du sonnet appelle le chant, qui est à l’origine du théâtre. Le mot, proche étymologiquement du verbe « sonner », réfère à une mélodie ou à une « petite chanson ».
Le baryton au grave généreux joue de sa complicité avec Julia Sinoimeri et son accordéon, qui semble improviser selon les états d’âme du poète dans sa parure austère de ménine élisabéthaine. Theodore Vibert à la console électro acoustique musique l’ambiance, le temps pluvieux, le souffle du vent.
If Musique be the food of love garde les secrets de fabrication d’un barde génial dont on sait peu de chose et ces secrets sont passionnants, tout est exprimé par les corps, la façon dont ils bougent, des petites touches pointillistes mouvantes.
On s’enroule dans ce temps incertain, un vague à l’âme en marge des modes, un pianissimo des cœurs purs, une enluminure faite de signes de reconnaissance qui passent sans s’attarder, des petits trésors comme cela. Un air maison. Un théâtre sans âge, sans attaches autre que l’étrange attachement qu’il suscite, le bonheur d’être triste, n’est-ce pas cela la mélancolie ?

If Music Be The Food of Love, sonnets et chansons de William Shakespeare traduction de Jean-Michel Déprats
Conception et Mise en scène : Alexandre Martin-Varroy
Dramaturgie : Pénélope Driant
Scénographie : Aurélie Thomas
Costumes : Nathalie Pallandre
Lumières : Olivier Oudiou
Son : Margaux Robin
Composition électroacoustique : Théodore Vibert
Photo © Barbara Buchmann
Avec Alexandre Martin-Varroy, Julia Sinoimeri, Théodore Vibert
Jusqu’au 21 décembre
jeudis, vendredis et samedis à 21h, samedis et dimanches à 16h30
Durée : 1h 20
Théâtre de l’épée de bois
Route du Champ de Manœuvre
75 012 Paris
Réservation : www.epeedebois.com

