Ballet emblématique s’il en est, Casse-Noisette a ébloui plusieurs générations d’amateurs de danse classique depuis la version originelle de Maurice Petipa (et Lev Ivanov) en 1892 sur la musique de Piotr Tchaïkovski, jusqu’aux dizaines de variantes (parmi lesquelles celles de Petit, Balanchine, Malandain, Béjart, Maillot, Kader Belarbi) depuis, en passant par celle considérée comme l’une des plus aboutie, à la lecture (justifiée) très psychanalytique de Noureev en 1985 et est régulièrement inscrit aux programmes des plus grandes salles spécialement lors des fêtes de fin d’année, de Londres à New-York, en passant par Paris. Le conte d’Hoffman (Casse-Noisette et le roi des souris) adouci par Alexandre Dumas (Histoire d’un Casse-noisette), dont il est inspiré situe l’action précisément le soir de Noël, durant lequel la jeune Maria, devenu Clara dans l’adaptation de Petipa, rêve du jouet qui lui a été offert par Drosselmeier, son parrain, un pantin qui devient un prince charmant livrant bataille à une armée de souris et leur Roi, et autres personnages aux tailles démesurées, comme lorsque Alice rétrécit dans un autre conte célèbre.

En 2005, Benjamin Millepied s’était attaqué à ce monument du répertoire, créé pour le Ballet du Grand-Théâtre de Genève, décidant de le dépoussiérer en s’aidant de décors et costumes ludiques conçus par l’artiste plasticien Paul Cox et en simplifiant sans complexe la chorégraphie. Il reprend la partition exactement vingt ans plus tard, avec le Ballet de l’Opéra de Nice pour une création dans la ville azuréenne avant son départ en tournée. Le cadre esthétique tourne résolument le dos aux représentations habituelles. Dorures et tutus sont abandonnés pour laisser place à des couleurs vives, des formes géométriques, des matériaux simples, façon Lego XXL.  

Des libertés sont également prises par rapport à différents aspects du ballet : le jouet en bois qui a généralement l’apparence d’un soldat devient dans la version Millepied-Cox un jouet grenouille, dont on n’a toujours pas compris le sens ; Clara et le Prince sont joués par deux enfants (le jeune garçon étant par ailleurs le neveu du Parrain et son double), dont les parties dansées sont très réduites ; la danse du grand-père est remplacée par une danse d’une grand-mère (excellente Lisa Bottet) et enfin Mère Gigogne est dansée par un homme (en l’occurrence le jour de notre représentation Theodore Nelson, qui est le père de Clara dans le premier Acte), ce qui peut surprendre de prime abord, mais s’explique historiquement (personnage très ancien des contes qui a pu être joué au XVIIème par un homme).

Si la structure des deux actes est évidemment conservée, le premier étant celui du réel, dans l’espace-temps particulier de la magie de Noël, le second, celui du fantastique créé par le rêve, les deux s’ancrent dans un imaginaire très onirique de la première à la dernière minute, mais également résolument moderne avec l’intégration d’un écran blanc comme un Ipad géant cachant la scène afin de permettre les changements de tableaux et de décors, et sur lequel sont tracés des dessins enfantins préfigurant ce qui se trouve au plateau ensuite, après avoir servi de support aux indications principales d’un générique et avant de poser le mot Fin. Le narrateur en costume gris agite sa plume côté Jardin sur une petite table pour écrire cette histoire.

Elle commence chez Benjamin Millepied avec l’arrivée charmante des invités en skis et raquettes de neige dans le premier tableau du premier Acte particulièrement réussi qui immerge immédiatement le spectateur dans l’esthétique choisie pour tout le ballet et particulièrement le premier Acte. De la grande maison jaune-rouge-vert, sont sorties des cubes-cadeaux, table et chaises, puis des jouets qui commencent à s’animer, tirés d’une boîte plate posée au sol, à la manière du sac de Mary Poppins, avec les premiers pantins animés (Arlequin et Colombine). Dans le deuxième Acte les échelles sont inversées. C’est Clara qui a la taille d’un jouet par rapport au décor (table et chaises principalement) et aux fameuses souris et soldats de plomb.

Le second Acte prend regrettablement moins de liberté(s) s’agissant de la présentation des différentes danses de caractère, qui sont toutefois astucieusement annoncées par les enfants faisant tourner un globe terrestre. On peut même s’étonner après tant d’inventivité scénographique à l’Acte I que les danses espagnole, arabe, chinoise, russe etc., n’aient pas suscité plus d’inventivité car elles restent très caricaturales dans les types représentés, y compris dans le choix appuyé d’une mère Gigogne drag queen, que tous les spectateurs en particulier les enfants n’ont pas décodé. En outre, la valse des fleurs avec les jardiniers en bleus de travail et bottes vertes et leurs partenaires féminines en pots de fleurs ne sont peut-être pas du meilleur goût en particulier pour les danseuses…

Du côté de la distribution, on peut noter une certaine hétérogénéité qui dépend parfois des personnalités ou des tableaux et du goût du public largement peuplé d’enfants de tous âges à la représentation de 15 heures à laquelle nous avons assistée. A l’applaudimètre c’est incontestablement le pas de deux du Prince et de la Fée dragée qui l’a emporté, alors que celui des époux Stahlbaum, les parents de Clara (Madeleine Pastor et Theodore Nelson), une fois la fête finie, puis avec la valse des flocons nous semble le plus abouti. Le troisième tableau de la danse des flocons de neige est d’ailleurs absolument ravissant. Si les danseuses ne revêtent pas les habituels tutus blancs, elles virevoltent comme leurs partenaires masculins en longues jupes immaculées et les ensembles sont presque parfaits, à la différence de nombreux passages dans le ballet manquant de coordination, voire de rigueur ou niveau technique. Parfois, les écarts rythmiques entre le plateau et la fosse semblent davantage dus à la chorégraphie elle-même qu’à un problème du côté de l’orchestre gaiement mené par Daniel Gil, avec les danseurs. La chorégraphie qui n’a pas la complexité des grands maîtres précités (à commencer par celle de Noureev que l’on peut continuer à voir régulièrement à l’Opéra de Paris ou de Sir Peter Wright toujours donnée à la Royal Opera House de Londres), n’évite pas quelques chausse-trappes et motifs très répétitifs qui ne sont pas toujours heureux (par exemple des portés récurrents de danseuses gainées à l’horizontale, ou encore des petits sauts avec une jambe relevée pieds flex) ou au contraire un vocabulaire parfois trop simple qui ne permet aucune véritable prouesse technique.

La nouvelle version de Millepied pourrait donc bien correspondre au mot que l’on prête à Balanchine de « confiserie musicale », un doux moment à partager en famille, qui gomme assez largement toute la dimension psychologique de l’œuvre, et notamment la question centrale du passage de l’enfance à l’âge adolescent et de la découverte de l’amour. On retiendra surtout de belles images (en particulier l’arrivée en ski, les souris peluches géantes, la danse des flocons comme une boule de neige renversée) comme la plongée grandeur nature dans un livre d’enfant, un petit plaisir régressif réconfortant.

Casse-Noisette

Musique : Tchaïkovski    

Direction musicale : Daniel Gil

Chorégraphie : Benjamin Millepied  

Assistant à la chorégraphie : Bruno Roy

Décors et costumes : Paul Cox

Lumières : Lucy Carter

Photo : © Mathilde Fanet

Avec :  le Ballet de l’Opéra Nice Côte d’Azur dirigé par Ponthus Lidberg, l’Orchestre philarmonique de Nice, le Chœur de l’Opéra de Nice

Jusqu’au 31 décembre 2025 à 15h et 20h selon les jours

Durée : 2h (entracte compris de 30 mn)

Opéra Nice Côte-d’Azur

4-6 rue Saint-François-de-Paul – 06364 Nice 

Réservation : 04 92 17 40 40

www.opera-nice.org

En tournée :

La Seine musicale (Boulogne-Billancourt) du 7 au 11 janvier 2026

Théâtre Mohammed V de Rabat (Maroc) du 30 janvier au 1er février 2026