© Christophe Raynaud de Lage

ƒƒƒ article de Sylvie Boursier

Six pieds sous terre, jojo, tu danses encore… et tu sais, ce soir-là à Boulbon, nous connaissions tous les paroles de tes chansons sans oser les fredonner. Alors, Anne Teresa de Keersmaker et Solal Mariotte l’ont fait par instant, les yeux dans les yeux des spectateurs, mains tendues, paumes ouvertes, têtes légèrement inclinées ; dans leurs bras tu étais là, sous l’étoffe déchirée de leur corps, toi qui fus bien davantage qu’un « chansonnier belge dépressif ». Ton mystère, ton humour et ta légèreté étaient là. C’était beau à en pleurer, comme si la musique surgissait directement de la danse ou l’inverse, toutes deux liées sans que l’on ne puisse plus les séparer.

Vingt-cinq chansons, depuis Ça va (ou Le Diable) jusqu’à Jojo, le spectacle n’a rien d’une danse hommage au grand interprète, il transmet l’âme d’un poète (Le plat pays) y compris dans sa dimension politique (Ces gens-là, Les bourgeois) jusqu’à son retrait (Les Marquises). Comique de situation (Les bonbons) ou gravité (La Fanette), colère (J’arrive) et mélancolie, tendresse toujours, Brel se regarde, s’écoute dans la simplicité d’un moment de partage artistique et festif.

Anne Teresa de Keersmaeker glisse progressivement de la marche (complétement absorbée devant les images du plat pays flamand projeté sur la carrière) forme première du mouvement ancré au sol, à un crescendo cathartique. Solal Mariotte est hallucinant dans Mathilde avec des enroulés sauvages, des jeux de jambes à l’horizontale. Plis, torsions, superpo­sitions, envahissements, étranglements, son corps exulte la rage et le désir. Chaque chanson a sa signature, répétée, altérée légèrement, faite de gestes quotidiens détournés jusqu’à une ligne pure, parfaitement assimilable. On a un faible pour Les Flamandes aux postures théâtrales de bande dessinée, Mon amour, déchirant dans ses spirales face aux flammes sur le mur de Boulbon ou encore Ne me quitte pas avec le corps nu de la danseuse, se lovant devant le visage meurtri du chanteur. La complicité des deux artistes est palpable mais pas appuyée. Chacun dans son registre, ils s’unissent de temps à autre dans une ambiance de bal musette (La valse à mille temps). Le duo se répartit dans l’espace, s’écoute, se regarde parfois. L’une contemple tandis que l’autre se rit (gentiment) de certains tubes un peu désuets. La vie circule de Teresa à Solal, d’une chanson à l’autre comme un flux continue. Il faut saluer le talent de comédiens des deux artistes particulièrement savoureux dans Jef, couple de clochards célestes sous la voûte étoilée ou dans Les vieux, au déhanchement cadencé.

Chaque spectateur eut l’impression que Anne et Solal dansaient pour lui, pour son Brel intime, secret, celui que l’on garde en soi comme un talisman. Pas de fioritures, de décors, d’éclairages violents, on aurait pu rester jusqu’au lever du jour voir le soleil se lever sur Boulbon, nourris de l’essentiel, le temps, l’espace, le mouvement, le ruissellement des voix et des corps jusqu’au bout de la nuit, le plaisir d’être là.

 

© Christophe Raynaud de Lage

Brel, concept, chorégraphie et danse : Anne Teresa De Keersmaeker, Solal Mariotte

Musique : Jacques Brel

Scénographie : Michel François

Lumière : Minna Tiikkainen

Costumes : Aouatif Boulaich

Recherche danse : Pierre Bastin

Recherche musicale : France Brel/Fondation Jacques Brel, Filip Jordens

Dramaturgie : Wannes Gyselinck

Son : Alex Fostier

Avec : Anne Teresa De Keersmaeker et Solal Mariotte

Durée 1h30 

Les 6, 7, 9, 10, 11, 14, 15, 17, 18, 19 et 20 juillet 2025

Carrière de Boulbon

13150 Boulbon

Réservations :

T+ 04 90 14 14 14

www.festival-avignon.com

 

Tournée :

Du 28 au 31 juillet 2025 : Akademietheater, Impulstanz – Vienna, Autriche

Du 27 au 28 août 2025 :  Grande Salle, L’Intime Festival – Namur, Belgique

Du 08 au 09 novembre 2025 :  Internationaal Theater Amsterdam – Amsterdam, Hollande

Du 26 au 29 novembre 2025 : De Singel – Anvers Belgique

Du 10 au 11 décembre 2025 :  La Comète – Charlons, France

Du 19 au 20 décembre 2025 : Teatro Central – Séville, Espagne

Du 07 au 18 janvier 2026 : Théâtre National Wallonie-Bruxelles – Bruxelles, Belgique

Les 19 et 20 décembre 2026: Viernulvier– Gant, Belgique

Le 05 mai 2026 : Cultuurcentrum Hasselt – Hasselt, Belgique

Du 11 au 20 mai 2026 : Théâtre de la Ville – Paris

Le 04 juin 2026, Leietheater – Deinze, Belgique