Un violon pleure une plainte d’écorchée, un corps pâle et fantomatique surgit lentement de l’ombre comme à regret, des bras longs et graciles dessinent d’étranges et fines arabesques, soulignent le récit d’amours mortes, la morsure du désir, la soumission devant la violence qui aveugle. Analphabet est un fantôme, une folle andalouse, un esprit qui chuchote et chante ses blessures intimes aux amants d’un soir égarés sur les plages d’Espagne. Une parole poétique pour dire la violence, la brutalité sourde ou franche qui n’épargne pas les relations homosexuelles pourries par une éducation patriarcale toujours prégnante et dont le schéma délétère se reproduit parfois ad nauseam jusqu’au sein de couples queer qui ne sont pas épargnés par un certain machisme, une image frelatée de la masculinité. « L’acteur entre » écrivait Antoine Vitez. Mais qui entre ici sur ce plateau, qui est Alberto Cortès dont la présence fragile, prêt de de s’évanouir, de retourner dans l’ombre, traversée par l’expérience de la douleur ardente d’être au monde et de la création de soi dont la poésie iridescente et à vif porte les stigmates, reste une énigme irrésolue ? Le corps d’Alberto Cortés est lui-même poésie, poïétique, métaphore fragile de son récit derrière laquelle il se retire, s’efface, absent à lui-même. Il n’a d’existence sur ce plateau que par ce récit qui l’oblige à l’effacement, à ne plus être que ce que lui souffle et impose ce verbe sidérant qui le hante, un fantôme évanescent. Le nom même ici de son avatar, Analphabet, porte les possibles d’une écriture à inventer, d’un palimpseste encore vierge. On n’échappe pourtant pas à sa beauté pasolinienne, à cette gestuelle dansée de faune androgyne, qui auréole sa présence et son récit d’une dimension fortement homosexuelle dont il ne cherche nullement à se dépendre lui qui se définit « marica [pédé] andalou », une identité crânement affirmée, pour simplement l’intégrer, en creux, constitutif à ce qui est énoncé, la violence des hommes, de ce qu’ils doivent / devraient dit-on représenter, qu’il semble connaître intimement, ne l’épargnant pas, n’épargnant personne, pas même au sein du milieu gay où la violence patriarcale toujours tue, existe et vous broie, quoi qu’on en dise. Alberto Cortés pourtant choisit l’ironie, l’euphémisme, l’intolérable douceur abrasive des contes et poèmes, exprimant les indicibles douleurs où les fantômes accompagnent la résilience des vivants, de ceux qui s’inventent un destin contradictoire. Ce corps ainsi jeté dans la bataille avec tant de délicatesse et de maniérisme, sinon de baroque, au sens pictural, et support d’une écriture aussi poétique que politique, cette performance, même s’il s’en défend, est un manifeste exutoire, exorcisme d’une beauté subversive contre la brutalité d’un héritage patriarcal qui empoisonnent jusqu’aux amours homosexuelles.

Analphabet, conception, dramaturgie, mise en scène et interprétation : Alberto Cortés
Violon et conversations : Luz Prado
Création et régie lumière : Benito Jiménez
Son : Oscar Villegas
Traduction française et surtitrage : Marion Cousin
Coordination technique : Cristina Bolivar
Enregistrement piano : César Barco
Scénographie : Victor Colmenero
Costumes : Gloria Trenado
Regard extérieur : Mónica Valenciano
Photo © Alejandra Amere, Clementina Gades
Vidéo : Johann Pérez Viera
Jusqu’au 19 décembre 2025 à 20h
Relâche le 14 et le 17 décembre
Durée 1h10
Comporte des scènes de nudités
Théâtre de la Bastille
76 rue de la Roquette
75011 Paris
Réservation : 01 43 57 42 14

