Chapeau cloche, yeux en bouton de bottine, uniforme de Jeannette, revoici Emma la Clown pour un très bel hommage à Anne Sylvestre, disparue depuis cinq ans déjà (1934-2020). Emma aime Anne, elle le dit sans forfanterie, « c’est moi qui l’aime le plus au monde », et le prouve qui affirme avoir appris toutes ses chansons par-cœur. 276, quand même ! Mais quand on aime, on ne compte pas. On sait que pour Emma la clown, bavarde comme une pie qui chante, les mots remplacent balles et massues, chutes, coup de pieds au cul et horions des augustes. Alors rien que de très logique, après avoir tutoyé Dieu, la Mort et la psychanalyse, de la voir s’emparer du si riche et si poétique répertoire d’Anne Sylvestre. Mais elle n’est pas seule sur cette piste sans sciure qu’est le plateau. Nathalie Miravette est là qui l’accompagne, elle qui fut la pianiste d’Anne Sylvestre 11 ans durant. Il manquait à cette auguste un clown blanc, voilà donc qui est fait. Et c’est merveille. Nathalie Miravette d’abord circonspecte devant notre clownesse un rien pipelette, il y a de quoi, admoneste, tempère les propositions enthousiastes et démonstratives d’Emma la clown, demande de l’épure et de la demi-teinte, en appelle au souvenir d’Anne Sylvestre, de sa tenue exemplaire sur scène quand s’emballe Emma la clown qui d’une chanson fait pantomime. Encourage aussi devant les efforts sincèrement déployés. Emma s’exécute, pleine de bonne volonté, mais chassez le naturel… Il y a entre ces deux-là une formidable complicité, une admiration réciproque, réunies par une même ferveur, un même amour pour rendre un hommage, et le mot est bien faible ici, à cette artiste engagée, entière et jamais sereine, féministe, humaniste, formidable autrice, compositrice et poétesse dont elles dressent un portrait sensible. Cette belle et simple connivence qui fait toute la qualité et le sel de ce récital éclate lorsqu’ensemble, à voix nues, elles chantent Que des lettres d’amour.

Ce n’est pas du vaste répertoire d’Anne Sylvestre les chansons les plus connues qu’a choisi Emma la clown et c’est tant mieux, il est bon parfois d’emprunter des chemins de traverse, buissonniers, de découvrir des sentiers non battus. Se glisse en catimini une fabulette, quand même, de celles qui cachèrent longtemps et à son corps défendant une vaste forêt de compositions où l’humour le dispute à la gravité. Anne Sylvestre avait sur le monde comme il cahote, des relations entre les hommes et les femmes, des femmes entre elles, de la sororité, un regard aussi tendre qu’acéré et sous la caresse, la tendresse, pouvaient être la griffe et les crocs. De la chanson populaire, qui n’est pas un gros mot, elle a contribué à lui donner ses lettres de noblesse. Emma la Clown au long de ce récital est gagnée par quelque chose auquel on ne s’attendait pas, une émotion difficilement contenue que son nez rouge peine soudain à cacher. S’en est fini de faire le pitre… Cela arrive sans crier gare sur Une sorcière comme les autres où derrière le masque d’Emma apparait Merieme Menant, cœur à vif. Dans la salle saisie le silence applaudit. Alors oui, comme l’affirme crânement Emma la clown avant que ne débute ce récital « le public est conquis ! ».  C’était sans doute présomptueux, fanfaronnade de clown, se disions-nous. Nous avions torts et le mot était bien faible devant ce grand et beau cri d’amour d’Emma la clown accompagnée de Nathalie Miravette pour une immense artiste, Anne Sylvestre, dont les chansons tel un capodastre fait résonner si bien nos vies minuscules.

Emma aime Anne, Emma le clown ose Anne Sylvestre, création de Merieme Menant

Avec Merieme Menant et Nathalie Miravette

Œil extérieur : Ami Hattab

Lumière : David Duquenoy

Régie : Romain Beigneux Crescent

Arrangements : Nathalie Miravette

Photo : pascal Gely / Hans Lucas

Du 15 au 20 décembre

A 19h30

Café de la Danse

5 passage Louis-Philippe

75011 Paris

Réservations : www.cafedeladanse.com

Création vue le 30 novembre 2025 au Hall de La Chanson / La Villette