Sur un plateau dévasté d’un lendemain de fête, cadavres de bouteilles et gobelets épars, serpentins et confettis fatigués, débarquent trois individus, pas très frais non plus. S’engage alors, quoi ? Pas vraiment un dialogue, non, mais trois soliloques qui se répondent sans s‘écouter. A vrai dire, une même séquence réitérée par trois fois chaque fois et générée par I.A. Voix atone, sans émotion où ce qui est dit de façon mécanique et dont le contenu fait de clichés déraille très vite, devenant quelque peu abscond sinon absurde, tournant en boucle, est ânonné par nos trois énergumènes en mode lip-sync, play-back qui engendre de drôles de comportements. A vrai dire rien, strictement rien, entre ce qui se passe sur le plateau et ce qui est dit, ne correspond. Gobelets jetés, bouteilles rangées, dérangées… On fait et défait aussitôt ce qui fut fait, on s’affronte, on se réconcilie, on boit, on danse… On change de costumes improbables et de perruques froissés, c’est une galerie de personnages grotesques pour une comédie humaine très vite burlesque. Les situations et les corps s’emballent de conserve, les émotions et les humeurs cascadent, explosent, déconnectés d’un discours sans affect. On ne sait plus très bien où nous sommes, au théâtre peut être, se dit-on, quand des applaudissements incongrus se font entendre et que ces trois saluent comme à la parade. Ou bien alors, les acteurs fatigués, dans un mauvais feuilleton, de ceux produit à la chaîne, joués dans une surcharge émotionnelle et physique en dépit d’un scénario indigent. Il y a quelque chose de pathétique à les voir s’efforcer de lutter en vain et de guerre lasse contre un dialogue qui les empêchent, les dépossèdent d’eux-mêmes contre lequel ils résistent du mieux qu’ils peuvent. La compagnie anglaise Forced Entertainment signe une création certes hilarante mais également franchement inquiétante pour les questions qu’elle pose aujourd’hui sur la crise de la représentation à l’heure de l’I.A. Il y a quelque chose de foncièrement subversif et juste dans cette création plus intelligente qu’elle n’y parait sous le masque du burlesque. On songe à Ionesco pour cette appréhension du langage évidé de tout contexte – la Cantatrice chauve pour exemple – généré ici par l’intelligence artificielle et qui ne donne aucune prise aux émotions les plus ténues, lesquelles ne sont plus que des artefacts abstraits. Ces trois sur le plateau, hésitant entre se plier aux injonctions d’un discours absurde qui les malmène ou trouver une vérité malgré lui, ne serait- ce qu’une émotion ou le corps arc-bouté, n’expriment rien d’autre que cette inquiétude réelle devant un avenir, une avancée technologique qui les condamne à terme à n’être plus rien. Comme le définit très bien Tim Etchells « Tout est une blague, mais rien n’est drôle. Ou tout est drôle et rien n’est drôle ». TRagique ajouterons-nous. Cold Sweat, devant cet avenir de la création et des arts vivants, un tantinet anxiogène et sans âme se profilant, n’est rien d’autre qu’un acte manifeste de résistance.

Cold Sweat, une création de Force Entertainment
Conception et mise en scène de Tim Etchells
Conception et interprétations : Richard Lowdon, Claire Marschall, Terry O’Connor
Texte, composition et conception sonore : Tim Etchells
Traduction du texte en français : Pascale Fougère
Scénographie : Richard Lowdon
Conception lumière : Jim Harrison
photo : © Tim Etchells
Vu le 22 novembre 2025
Durée 1h15
Cold Sweat est représenté en coréalisation avec le Festival Les Inaccoutumées hors les murs de La Ménagerie de verre.
Théâtre de la Commune
2 rue E. Poisson
93300 Aubervilliers
Réservation : www.lacommune-aubervilliers.fr

