« J’ai appris de vous ce que signifie la liberté », c’est rien moins que cela que Blum aurait confié à Maria Montessori en lui remettant la légion d’honneur en 1949, trois ans avant sa mort à 81 ans.
Bérengère Warluzel reprend à la scène nationale de Châteauvallon-Liberté, après sa création l’année passée, son nouveau seul en scène autour de cette figure féminine exceptionnelle. Après la non moins remarquable Hannah Arendtà laquelle elle avait rendu hommage dans sa pièce Fragments vue et appréciée dans le off d’Avignon en 2021, la comédienne se penche sur la figure moins connue de Montessori. De la même manière que pour la philosophe allemande, Bérengère Warluzel et le directeur des lieux, Charles Berling, à la mise en scène, adaptent la vie et les écrits de la docteure et pédagogue italienne, avec une économie de moyens et de temps, tout en transmettant avec sensibilité et intelligence leur admiration pour ces femmes puissantes.
Leur propos n’est pas d’être exhaustifs sur la vie des intéressées, mais de retenir les éléments permettant de mieux éclairer leurs pensées, et en l’occurrence de souligner leur obsession commune de faire naître le désir de penser, que leurs cibles soient des enfants ou des adultes.
Deux femmes visionnaires, révolutionnaires même, ayant dû farouchement lutter pour s’imposer comme intellectuelles face aux barrières dressées du fait de leur genre, et ayant sacrifié une partie de leurs vies personnelles, dans des contextes géographiques et sociologiques certes différents, mais subissant les mêmes réflexes paternalistes. Elles ont aussi en commun leur part d’ombre ou d’inexpliqué. Maria n’eut pas (a priori) pour amant Giovanni Gentile (philosophe puis ministre de l’Instruction du Duce), mais fut sensible à l’intérêt (momentané) de Mussolini pour son école et aux financements qu’il était prêt à octroyer. Bérengère Warluzel a choisi de ne pas proposer d’extraits de lettres au Duce signées « avec toute sa dévotion fasciste », ni de mentionner la nomination de Maria comme membre d’honneur du parti fasciste en 1926, sans dissimuler pour autant son moment d’errance, qui fut sans doute plus opportuniste qu’idéologique et prit définitivement fin quand ses écoles furent fermées en Italie, en Allemagne, puis en Autriche et qu’elle continua son exil et multiplia ses voyages pour observer les enfants en tous les lieux (de l’Inde aux États-Unis en passant par la Hollande et la France).
L’autrice et son metteur en scène ont choisi de se concentrer sur ce qui constituait l’essence du projet de celle qui fut initialement passionnée de théâtre (au point d’écrire des pièces quand elle s’ennuyait en classe), avant de vouloir devenir médecin (et devenir la première docteure italienne), puis de se spécialiser dans la psychologie de l’enfance et l’éducation, en commençant par le quartier romain mal famé de San Lorenzo. Le sujet de l’enfance est déjà si phénoménal, que l’on comprend qu’aient été mises de côté ses autres luttes, à commencer par le féminisme. La pièce est nourrie par moult extraits de ses écrits, notamment de ses ouvrages, distillés avec pertinence durant l’heure de représentation qui se termine par l’un de ses fabuleux discours sur l’éducation comme condition de la paix dans le monde, après que sur le plateau la comédienne ait déroulé comme une farandole triangulaire tous les petits drapeaux des États membres des différentes organisations internationales où elle a été invitées (Unesco, Société des nations dans les années 30 et 40). Si c’est avec cette allégorie très didactique que la pièce se termine, elle débute de manière bien plus surprenante. Maria, en robe noire (cette unique tenue est expliquée dans la pièce), commence par rappeler le mythe de Cronos dévorant ses enfants. Ce lancement déroutant de prime abord que l’on interprète instinctivement comme la métaphore d’un système (social, culturel, scolaire) qui dévore ses enfants, fait encore sens beaucoup plus tard, quand on apprend que la pédagogue avait pour habitude de travailler avec ses petits élèves un passage pour le moins difficile du chant XXXIII de l’Enfer dans la Divine comédie de Dante qui fait référence à un père qui semble acculé à manger ses enfants. Après ce prologue étonnant, le propos se fait plus didactique, accompagné d’une mise en scène sobre et efficace. Bérengère/Maria dévoile ce qui était dissimulé par un drap tenu par une corde qu’elle déroule, comme sa vie. Des chaises, tables et matériels en bois qui semblent ceux d’une maison de poupée, mais ne sont autres que du mobilier à la taille des enfants, vraiment utilisé dans les écoles Montessori toujours actives dans le monde (et en l’occurrence prêté par la présidente de l’association Montessori), des petits vêtements qui seront accrochés à des cintres suspendus, et matérialisent la classe dans laquelle Maria officiait, prenant des notes sans cesse, dans une observation toujours émerveillée ou plutôt acérée du comportement des enfants, lui permettant de développer son concept de leur libre développement. Et cela ne veut pas dire leur laisser faire n’importe quoi comme le rappelle l’autrice car son modèle avait un degré d’exigence élevé avec ses élèves, pour ne pas dire ses enfants, qui se substituèrent sans doute un peu, un temps, à Mario, ce fils qu’elle dut abandonner pour continuer son destin, mais qu’elle retrouva pour mieux poursuivre l’œuvre révolutionnaire pour le système éducatif dans le monde.
Les airs d’opéra offrant des respirations dramaturgiques dans la pièce font écho à l’importance qu’elle accordait à la musique dans le quotidien des enfants, et s’adaptant selon les pays aux différentes cultures musicales. Quoi de plus normal alors que de nous faire entendre Norma ou Il barbiere di Siviglia comme des petites virgules en play-back surjoué, saynètes nous faisant imaginer, le temps d’une courte rêverie, Maria se levant de son bureau après la classe et chantant à tue-tête ses airs préférés de Bellini ou Rossini. Et quand elle ne rassemblait pas les enfants par la musique, elle les réunissait par l’écoute du silence.
Si la silhouette frêle et gracieuse de Bérengère Warluzel ne correspond pas à celle plus enrobée de La Montessori (comme on disait La Callas que l’on entend dans les premiers extraits), la comédienne transmet dans sa Montessori cette énergie et détermination farouche de « la femme qui nous apprit à faire confiance aux enfants » (selon le joli titre choisi par Christina De Stefano pour sa biographie).
Que nous réserve Bérengère Warluzel dans les années à venir comme hommages à de nouvelles pionnières ? On la verrait bien porter haut les combats et pensées d’Emma Goldman, de Marie Curie ou de Germaine Tillion, entre autres…

Montessori
Adaptation : Bérengère Warluzel
Mise en scène : Charles Berling
Dramaturgie et collaboration artistique : Amélie Wendling
Création sonore et visuelle : Vincent Berenger
Avec : Bérengère Warluzel
Photo © Guillaume Castelot
Jusqu’au 20 novembre 2025 à 18h30
Durée : 1h
Châteauvallon-Liberté, scène nationale (Toulon)
794 Chemin de Châteauvallon
83192 Ollioules
Réservations : 09 800 840 40
www.chateauvallon-liberte.fr

