Le paradoxe de John, Portnoy et son complexe, la Métaphysique des tubes, quel rapport ? aucun si ce n’est l’ésotérisme du titre, une alchimie des contraires et une exploration des métamorphoses.
Qui est John ? pas évident de le savoir, probablement un double de Serge, héros d’un précédent spectacle de Philippe Quesne. Comme Serge, les 5 artistes « en devenir » du Paradoxe échafaudent des mondes à partir de rien. Ils ont pour mission de transformer en galerie d’art un atelier vide, simplement occupé par des parpaings, des formes bâchées et une chaise suspendue. Cheveux longs, look babacool, pattes d’eph, lunettes plus ou moins noires, ils arrivent sur l’invitation de la régisseuse (magnifique Isabelle Angiotti) qui veille à la mémoire du lieu en mettant ses convives à l’aise. Hésitants au départ, nous découvrons l’endroit en même temps qu’eux. On se demande où tout ça va mener et paradoxalement (d’où le titre) on finit par y croire, leur entrain et leur allégresse nous touchent, des installations fragiles, temporaires, plus ou moins réussies, se forment avec trois bouts de ficelles, on recycle les matériaux existants jusqu’au linoléum du sol. Il faut voir Veronika Vasilyeva-Rije ramper sous le lino, bientôt rejointe par Celeste Brunnquell.Ces chercheurs n’ont pas l’ambition d’épater la galerie (c’est le cas de le dire), de « performer solo » mais de former une communauté bienveillante et sensible. Ils s’écoutent, se répondent, se congratulent chaleureusement (Les mimiques enthousiastes de Marc Susini, sont craquantes), se surprennent, accordent ou désaccordent leurs rythmes, leurs tons, leurs humeurs. Ils engagent ce qu’ils sont au cœur d’une expérience commune et affichent la conviction sincère, et poignante, de ceux qui ne lâcheront rien tant que leur mission n’aura pas été accomplie. Ils ne sont pas de la même famille mais semblent au bout d’une heure se connaitre parfaitement d’où le happy end festif. On aurait tort de snober ces pieds nickelés, Philippe Quesne, contrairement à Yasmina Réza dans son affligeant Art, ne se moque pas, il croit en la valeur performative de ses acteurs (il a raison, ils sont tous excellents), réinventant le geste de Dada, l’urinoir assemblé à partir d’une roue de bicyclette fixée sur un tabouret. Sauf qu’ici, il ne s’agit pas de subversion mais d’un entre soi complice, d’une invitation à la création sans crainte du ridicule et du ratage.
Chaque artiste en herbe s’affaire pour donner naissance à des compositions qui fourmillent d’idées et aussi de pitreries. La chaise suspendue en l’air par un crochet, intitulée la spectatrice émancipée, se voit recouverte d’une bâche en plastique, chaussée d’une paire de bottes et auréolée d’une épaisse fumée, la voilà renommée le kyste de ma mère, une fontaine de mousse envahit une partie de la scène comme une immense barbe à papa. Fantaisie et poésie se mélangent lorsque les sculptures en balatum ondulent doucement à l’annonce de la maitresse des lieux : « vous aussi, mes petites, vous irez à la biennale ». Pas de dialogues, de voix off mais un étrange sabir sert de langue commune.
On aime les élucubrations dialogiques, diatoniques de Philippe Quesne parce qu’elles ne ressemblent à aucune autre. Ses petits êtres sont gais, pleins d’allant, pas blasés, follement amusants.
Philippe Quesne n’a décidément pas le sens du drame, tant mieux, et son univers est un écrin parfait au texte puissant de Laura Vasquez, qui défile sur une bande passante durant tout le spectacle :
« Nous devons interdire à nos enfants de trop traîner dans leurs souvenirs […] si vous voulez savoir ce qui se passe à l’intérieur des choses / il faut d’abord les déplacer / puis il faut les écouter / puis il faut les assembler / puis il faudra les enterrer/ … ».

Le Paradoxe de John, textes originaux Laura Vazquez
Conception, mise en scène et scénographie : Philippe Quesne
Costumes : Anna Carraud, assistée de Mirabelle Perot
Régie et collaboration artistique : François Boulet, Marc Chevillon
Décoratrice : Marie Maresca
Musiques : Riz Ortolani, Pan Sonic, Noel Boggs, John Cage, Morton Feldman, Franz Schubert, Marlene Dietrich, Demetrio Stratos, Lucy Railton, Fred Buscaglione, Stelvio Cipriani
Avec Isabelle Angotti, Céleste Brunnquell, Marc Susini, Veronika Vasilyeva-Rije, Marc Chevillon
Photo © Martin Argyroglo
Jusqu’au 16 novembre 2025
Durée : 1h25
Théâtre de la Commune
2 rue Edouard Poisson
93330 Aubervilliers
Réservation : 01 48 33 16 16
Et au Théâtre de la Bastille du 26 novembre au 6 décembre 2025
76 rue de la Roquette
75011 Paris
Réservations : www.theatre-bastille.com
Tournée :
22-25 janv. 26 : Théâtre Garonne – scène européenne Toulouse
20-21 fév 26 : HAU – Berlin (Allemagne)
24 février 26 : Galerie 7L – Paris – soirée spéciale autour du spectacle en compagnie de Laura Vazquez
26-28 février 26 : Kampnagel – Hamburg (Allemagne)
3-5 mars 26 : Lieu Unique Nantes
10-13 mars 26 : Théâtre national Bordeaux Aquitaine

