Dans la légende populaire d’origine, Faust est un érudit aux dons exceptionnels mais qui, déçu du peu de connaissances acquises après une vie consacrée à l’étude, vend son âme à un suppôt du diable appelé Méphistophélès afin d’accéder aux « fondements derniers » des choses. Méphisto a tôt fait de détourner le savant de ce but premier en l’entraînant dans une vie futile, grâce aux pouvoirs magiques qu’il lui procure. Au terme du pacte scellé avec le diable Faust, pris de remords, est damné et connaît une mort atroce, livré aux tourments de l’Enfer.
Le public pour qui l’opéra est d’abord le beau vocal, sera comblé par ce spectacle, parfaitement assumé. Mais pour qui l’œil mérite d’être sollicité avec la même intensité et la même intelligence que l’ouïe, ceux-là n’y trouveront pas tout à fait leur compte. La mise en scène de Silvia Costa, tournant le dos à toute dimension métaphysique, frise le grand-guignol par instants sur un espace confiné où les chanteurs, plantés là, semblent s’ennuyer par moments. Evidemment il y a l’enthousiasme de Benjamin Bernheim dans le rôle de Faust qui s’engage toujours à fond pour défendre ses personnages et l’humour de Méphistophélès (Christian Van Horn) qui bat la mesure et s’amuse avec l’orchestre dans la fosse en première partie.
Tout se passe dans, autour, en dessous d’un lit, des plaines de Hongrie au cabinet de travail de Faust, de la cave d’Auerbach aux rives de l’Elbe. On restera scotchés à cette couche, avec peu de modifications des décors en avant-scène.
Silvia Costa fait de Faust, un adolescent attardé planqué dans sa chambre, croulant sous les peluches, désabusé et envahi par ses souvenirs d’enfance. Pourquoi pas mais la scène initiale n’a pas la magie d’un livre d’images pour enfants dont on tournerait les pages, serrée dans un décor marronasse, une sorte de « garçonnière » moche avec des objets dont l’usage est incertain. Du premier balcon, on a confondu le transistor que l’on a pris pour un grille-pain. Faust s’ennuie, balance ses frusques par-dessus bord, fait les cents-pas en se tenant la tête sur la marche turque.
L’apparition de Marguerite à la scène 7 est magique se dépliant de son enveloppe macabre avec beaucoup de finesse, très lentement, comme le rêve d’un Faust qui, dans un geste narcissique, construit une image sur laquelle il projette ses désirs, ne pouvant aboutir que sur le néant. Une référence peut être à Vertigo d’Hitchcock dans lequel un ancien policier conclut un pacte faustien, manipulé par un mari criminel, et tombe amoureux d’un fantasme. Mais le final avec une Marguerite bordant Faust (ou son substitut) – ce qui laisserait supposer un œdipe mal résolu – est peu crédible, encadrée par une cohorte d’anges qui fait penser aux images saintes du petit catéchisme ou à une cohorte de collégiens propres sur eux issus de Cambridge ; surtout que la même Marguerite apparait quelques scènes avant avec un tablier de cuisine, plongeant la tête dans le four de la gazinière, comme une ménagère modèle devant son amoureux faustien. Rien n’est fait pour donner un peu de vie et de noirceur à cette histoire un peu fade.
En seconde partie, l’orchestre est installé en fond de scène, habillé en robe de magistrat comme si nous assistions à un procès. Assez juste comme idée, mais peu après on assiste à la chevauchée finale du héros, carrément descendu dans la fosse désertée et sautant comme un cabri revêtu d’une armure de chevalier moyenâgeux. Cette course à l’abime franchement drôle, manque de consistance dramatique et n’exprime pas le nuancier offert par Berlioz avec son hautbois horrifique et ses cordes lancinantes.
Les moments vraiment poétiques se situent au milieu dans l’émouvante romance de Marguerite et son duo avec Faust. Mezzo à la voix parfaitement projetée et aux couleurs sombres veloutées, Victoria Karkacheva comprend le romantisme de Berlioz aussi bien dans la chanson gothique(« Le Roi de Thulé ») que dans son émouvante romance (« D’amour l’ardente flamme ») et traduit toute la richesse intérieure de son personnage, fragile et déterminée. Benjamin Bernheim, Faust, mélange à la perfection la retenue et l’explosion dans une ligne vocale mélodieuse et expressive. Le ténor est parfait dans ses récitatifs, aussi à l’aise dans les grands airs lyriques (« Voici les roses ») que dans les chansons à boire (« Chanson de la puce ») ou dans l’invocation à la nature. Ses legato nous emportent le cœur. Le Méphisto ironique à la noirceur polissée de Christian Van Horn manque de séduction diabolique. En fosse ou sur scène, sous la houlette de Jakob Lehmann, l’orchestre se fait lancinant, pas de drame ni de lyrisme, le chef choisit une ligne sobre, pourquoi pas.
La Damnation de Faust n’a pas été envisagée par Berlioz pour la scène, et s’avère de ce fait délicat à représenter. D’autant que, dans sa première mouture, les huit scènes du Faust de Gœthe traduit par Gérard de Nerval, sont une suite de séquences qui n’ont pas de lien entre elles. On sort un peu mitigé de ce Faust trop mièvre, mais vocalement c’est parfait. A quoi reconnait -on la beauté d’une voix, au-delà de ses capacités techniques ? Et si la grâce relevait aussi de la pudeur, d’un raffinement loin de toute esbrouffe ? le public applaudit généreusement Victoria Karkacheva et Benjamin Bernheim !

La damnation de Faust d’Hector Berlioz, d’après Goethe
Livret d’Almire Gandonnière et du compositeur.
Mise en scène, costumes : Silvia Costa
Direction : Jakob Lehmann
Dramaturgie : Simon Hatab
Scénographie : Michèle Taborelli et Silvia Costa
Lumières : Marco Giusti
Orchestre : Les Siècles
Chœur de Radio France
Direction : Lionel Sow
Maitrise de Radio France
Direction : Sofi Jeannin
Avec : Benjamin Bernheim, Victoria Karkacheva, Christian Van Horn, Thomas Dollé
Photo © Vincent Pontet
Jusqu’au 15 novembre 2025 à 19h30
Durée : 2h avec entracte
Théâtre des Champs Elysées
15 avenue Montaigne
75008 Paris
Réservation : 01 49 52 50 50

