Une partition flamboyante et une mise en scène au diapason d’une œuvre lyrique puissante, le chef d’œuvre de Gluck. Une tragédie mise en scène avec brio et sans esbrouffe par Wajdi Mouawad se pliant à la partition, ne la débordant jamais, reconnaissant l’impact émotionnel de cette partition qui porte le tragique et à laquelle, modestement mais avec le talent qu’on lui reconnait, il se plie. Un travail d’épure, où sur le plateau le noir et le rouge domine. Après avoir lors de l’ouverture remis l’action dans son contexte, Iphigénie soumise à la malédiction des Atrides doit être sacrifiée par son père pour que se lève le vent qui le mènera à Troie. L’intervention d’Artémis (Diane ici) substitue une biche à Iphigénie. Cette dernière transportée en Tauride pour être prêtresse consacrée à son culte. La Tauride, aujourd’hui Crimée, territoire Ukrainien occupée par les russes est-il précisé lors de ce préambule fortement illustré où nous passons du cheval de Troie aux chars russes. Habile transition pour le second prologue. Car avant que ne commence l’opéra proprement dit, une courte scène de théâtre voit deux émissaires grecs, Oreste et Pylade, dans un musée de Kiev réclamant deux statuettes volées pendant la guerre. Refus du directeur russe (Thoas) et intervention de la conservatrice grecque (Iphigénie) lassée des sacrifices humains aujourd’hui que symbolise un tableau, monochrome rouge où se détache une enfant, perfusée par de nombreuses poches de sang accrochées au mur. Tableau peint par un soldat ukrainien, dit-elle, le sang étant celui de ses camarades morts au combat… Le tableau disparu dans les cintres, l’opéra commence sous le sceau du sang, Iphigénie immolant violemment ses victimes à la chaine. Thoas, roi des scythes, menacé par un oracle de mourir par la main d’un étranger, ordonnant le meurtre de tous ceux qui arrivent par la mer. Oreste, fuyant les Euménides après avoir tué sa mère Clytemnestre débarque en Tauride accompagné de son fidèle Pylade…

Sur le plateau un simple monolithe noir, éclaboussé de sang, pierre sacrificielle. Rien de plus, une scénographie dépouillée, comme la mise en scène, de tout artifice spectaculaire. Le spectaculaire, encore une fois, c’est la partition de Gluck et dans la fosse Louis Langrée dirigeant l’ensemble Le Concert en fait une démonstration éclatante et sans égale. La tragédie prend ici des couleurs fortement et magistralement contrastées, de la brutalité sèche à la douceur qui n’est que douleur. De silences soudains, fortes tensions qui annoncent des tempêtes tonitruantes. La partition sous cette baguette dynamique délabyrinthe les passions et convulsions tragique, un maelstrom continu, avec une précision aussi maniaque que fougueuse et tempétueuse. Louis Langrée fait œuvre de dramaturge entraînant avec lui et pour eux exclusivement les chanteurs qui sur le plateau s’abandonnent sans barguigner aux fureurs tragiques. On comprend que Wajdi Mouawad n’a plus qu’à suivre le mouvement, ce qu’il fait avec intelligence et abnégation. Une direction d’acteur réduit à l’essentiel sans être hiératique pour autant, un sens de l’image choc, toujours juste cependant, mais sans provocation, simple illustration, tableaux qui n’empiètent pas plus que ça sur les situations évoquées avec force dans le livret. Tout repose sur les chanteurs.

Et c’est une révélation pour le rôle-titre. La jeune soprano Tamara Bounazou est une Iphigénie charismatique, incandescente, déchirante, toute entière dans l’appréhension de son rôle qu’elle porte haut. Pas seulement par cette voix exceptionnelle, aux aigus tranchant comme le poignard avec lequel elle officie, capable de grave surprenant, une projection sans défaut et une énergie folle que par cette capacité dramatique et expressive inouïe en grande tragédienne qu’elle est, c’est une évidence, de passer d’un extrême à l’autre, de la fureur paroxystique à la douceur la plus ténue, une fragilité insoupçonnée. Surtout une intelligence non seulement du chant mais de l’importance ici du phrasé, du verbe, composante au même titre que la note de la partition. Le baryton Theo Hoffman est un Oreste rongé par la culpabilité, au jeu un peu trop convenu, il y a un côté un peu désuet et peu naturel dans la façon de bouger sur le plateau, mais qui ose dans une scène qui le voit céder à la folie être nu, intégralement et frontalement. Le ténor Philippe Talbot est un merveilleux Pylade, amoureux, c’est une évidence, de son compagnon et prêt de se sacrifier. La haute stature du basse-baryton Jean-Fernand Setti, aussi grand que sa voix est profonde, campe un roi Thoas imposant et hiératique d’une grande noirceur. Le chœur Les Eléments n’est pas en reste, d’une grande expressivité dramatique, protagoniste ici au même titre que les solistes. C’est une belle et forte production, une réussite, que la modestie volontaire de la mise en scène de Wajdi Mouawad ne dessert pas, loin de là, mais au contraire sert une partition éblouissante dirigée avec maestria par Louis Langrée. On n’en est que plus admiratif.

Iphigénie en Tauride, de Christoph-Willibald Gluck

Livret de Nicolas-François Gaillard

Direction musicale : Louis Langrée (2/4/6 novembre), Théotime Langlois de Swarte ( 8/10/12 novembre)

Mise en scène : Wajdi Mouawad

Dramaturgie : Charlotte Farcet

Scénographie et création du tableau Le sacrifice d’Iphigénie : Emmanuel Clolus

Costumes, coiffures, maquillages et perruques : Emmanuelle Thomas

Chorégraphie : Daphnée Mauger

Lumières : Eric Champoux

Concepteur son : Michel Maurer

Assistant à la direction musicale : Liochka Massabie*

Collaboration artistique à la mise en scène : Valérie Nègre

Directrice d’intimité : Stéphanie Breton

Assistant aux costumes : Jérémie Bauchet

Assistant aux décors stagiaire : Clara-Louise Daumas-Richardson

Directeur des études musicales : Benoit Hartoin

Pianiste cheffe de chant : Ayano Kamel*

Chef de chœur : Joël Suhubiette

Avec : Tamara Bouzanou, Theo Hoffman, Philippe Talbot, Jean-Fernand Setti, Léontine Maridat-Zimmerlin*, Fanny Soyer**, Lysandre Châlon, Anthony Roullier, Daria Pisareva

Orchestre : Le Consort

Chœur : Les éléments

*artistes de l’Académie de l’Opéra-Comique

**anciennes artistes de l’Académie de l’Opéra-Comique

Photo ©

Les 2,4,6,8,10,12 novembre 2025

Durée 2h30, entracte inclus

Opéra-comique

Place Boildieu

75002 Paris

Réservations : 01 70 23 011 31

www.opera-comique.com