© Doisne Studio
ƒƒƒ article de Denis Sanglard
Un morceau de bois devenu pantin aspire à être « un petit garçon comme il faut. » Naïf, menteur, égoïste, hâbleur, insupportable poupée immature se jetant sur des chemins de hasard en quête d’une liberté impossible par son entêtante bêtise, Pinocchio se confronte à la misère et la cruauté du monde. Conte noir, féérie poétique et récit initiatique où les grillons font la morale, meurent les fées et reviennent les trépassés, pleurent les hommes. La rédemption a le goût amer et mélancolique d’une défaite qui signe la fin de l’enfance. Tombent les masques.
Jérémie Le Louët nous invite au voyage. D’une humble masure au ventre d’un immense requin, d’une forêt spectrale au castelet d’un montreur de marionnettes… autant d’étapes d’une étrange fuite en avant, de rebondissements en échecs, de joies en peurs. Ce que retient Jérémie Le Louët de cette fable c’est le tragique, cette part dramatique de nos peurs enfantines jamais résolue. Etrange et juste contraste avec une mise en scène qui fait le choix de la féerie, du monde forain, de la couleur, sans rien omettre de la misère noire des hommes, du clair-obscur en chacun. Comme un faux nez plaqué sur une réalité sordide pour ainsi mieux la révéler. Comme ce même nez qui révèle le mensonge chez Pinocchio. Rien de doucereux dans cette adaptation fidèle de Carlo Collodi, rien de sirupeux mais une âpreté, une sécheresse jusque dans sa résolution.
Encore une fois Jérémie Le Louët installe avec bonheur sa fabrique théâtrale, usant de l’artifice comme d’une réalité en trompe l’œil. Une machinerie fait de brics et de brocs, toiles peintes, carton-pâte et vidéo-projection. Distorsion ou amplification des voix. Tout ça à vue, dénoncé, souligné. Sans jamais en abuser et sans perdre non plus le rythme de cette quête initiatique faite de fulgurances, de calmes et de tempêtes. Le plateau contient soudain le monde en son entier qui s’engouffre là, avant de s’évanouir, comme Gepetto et Pinocchio enfournés dans ventre du squale… C’est une vision certes sombre mais à hauteur d’enfant. Cette façon unique et ludique d’inventer, de réenchanter le monde, de s’en effrayer aussi, avec trois fois rien qui font tout. Un si magique propre à l’enfance et au théâtre, c’est parfois du pareil au même et Jérémie Le Louët ne s’y est pas trompé. Et rien que ça, donne à cette création quelque chose d’infiniment précieux et de jubilatoire. En accusant la théâtralité, sans rien adoucir de la cruauté du conte, du caractère insupportable de son personnage, une heureuse distance s’opère qui sans désamorcer la fable et son mystère ne la rend que plus sensible. Jérémie Le Louët est un Pinocchio dégingandé, tête en bois, tête à claque et sacrément désinvolte mais qui émeut autant par naïveté que son insondable bêtise. Lui aussi a retrouvé visiblement un goût d’enfance… mais quelque peu amer. Car là encore tout n’est qu’apparence et faux-semblant. Jérémie Le Louët offre à son personnage des failles qui doucement, subrepticement fendillent le mauvais bois de cette bûche sans cœur. Et la métamorphose attendue n’est pas celle que nous attendions, il faut en laisser ici la surprise. Devenir un petit garçon n’est pas sans gravité ni douleur. Autour de Jérémie Le Louët, ses fidèles, qui se démultiplient, tours à tours ogre, marionnettes, vieillards, chat et renard, machinistes même. Un ballet réglé au cordeau et des personnages dessinés finement. Et la fée bleue, Dominique Massat à la voix si envoûtante, conteuse pour l’occasion à qui incombe la narration, le « Il était une fois » qui ouvre le conte. Cette création-là n’est pas que pour les enfants mais bien aussi adressée aux adultes qui, supposons que nous le fumes tous, n’étaient que bûches dans leur enfance, capable de s’émerveiller aujourd’hui, comme les minots attentifs dans la salle, devant un pantin de bois.
© Doisne Studio
Pinocchio de Carlo Collodi
Adaptation et mise en scène Jérémie Le Louët
Avec Pierre-Antoine Billon, Julien Buchy, Anthony Courret, Jonathan Frajenberg, Jérémie Le Louët, Dominique Massat
Scénographie Blandine Vieillot
Costumes Barbara Gassier, assistée de Noémie Reymond
Vidéo Jérémie Le Louët
Lumière Thomas Chrétien
Son Thomas Sanlaville
Factrice de marionnette Manon Dublanc
Construction décors Gwénen Maignier
Stagiaire costumes Marion Thomasson
Régie Thomas Chrétien et Thomas Sanlaville
Regard extérieur Noémie Guedj
Du 8 au 13 octobre 2020
Théâtre de Châtillon
3 rue Sadi Carnot
93320 Châtillon
Réservation 01 55 48 06 90
billeterie@theatrechatillon.com
Tournée
6 novembre 2020 Centre d’art et de culture de Meudon (92)
1er décembre 2020 Théâtre de Chartres (28)
10 décembre 2020 Théâtre d’Auxerre- scène conventionnée (89)
12 Janvier 2021 Théâtre Edwige Feuillère, Vesoul (70)
30 janvier 2021 Le Prisme, Elancourt (78)
Du 6 au 9 mai Théâtre Am Stram Gram, Genève, Suisse
Du 18 au 21 mai 2021 Comédie de Picardie, Amiens (80)
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