Brûlant, Critiques, Festivals // Outrar, de Volmir Cordeiro, à la Ménagerie de verre, dans le cadre du festival Les Inaccoutumés, Paris

Outrar, de Volmir Cordeiro, à la Ménagerie de verre, dans le cadre du festival Les Inaccoutumés, Paris

Avr 09, 2025 | Commentaires fermés sur Outrar, de Volmir Cordeiro, à la Ménagerie de verre, dans le cadre du festival Les Inaccoutumés, Paris

 

© Fernanda Tafner

 

ƒƒƒ article de Nicolas Thevenot

La blancheur virginale de la salle haute de la Ménagerie de verre en serait presque aveuglante, attisée par les rayons de soleil qui baignent sa verrière. Ce blanc, qui n’est pas une couleur mais la somme de toutes les couleurs, est la toile où peindre l’apparition de Volmir Cordeiro aussi fulgurante et stupéfiante qu’un jet de peinture écarlate. Si le terme outrar, néologisme signifiant devenir autre, fut créé par Fernando Pessoa, écrivain aux multiples hétéronymes, il est ici repris à bras le corps par Volmir Cordeiro à la suite d’une invitation de la chorégraphe Lia Rodrigues. Cette entrée en matière officie comme une fissure dans la matière du réel, comme une irruption chromatique et volcanique, alors que l’air semble vibrer, saturé par une puissante et troublante création sonore mêlant infrabasses et bruits du quotidien. Il y a dans cette entame quelque chose de saillant et quelque chose qui se déchire comme il est dit quelque part du voile dans le temple alors que Terre et ciel n’en finissent plus de trembler.

Outrar est à comprendre littéralement, c’est un devenir, un processus de régénération continue, qui dément l’identité, la fermeture. Comme pour le blanc, Outrar englobe une somme, qui se difracte dans le temps quand la couleur l’est dans l’espace. Apparue soudainement comme une démixtion ou une précipitation dans un mélange chimique, la créature complexe formulée par Volmir Cordeiro agglutine en elle toute une collection de figures. Glaise humaine perpétuellement façonnée, elles possèdent déjà en propre toutes ces idiosyncrasies qui apparaissent à la surface de la performance telles des bulles de savon, aussi vite soufflées qu’éclatées. Dans ce maelstrom et dans le désordre, j’y vois ainsi moi-même une sorcière bossue, une danseuse de comédie musicale, un teuffeur, Chaperon rouge, une pleureuse, une bête de somme, une sirène… mais arrêtons-là car ce n’est pas tant ce qui apparaît dans la maestria de l’éphémère qui ferait sens et emporte nos propres sens mais bien plutôt l’ondoiement, l’harmonique, qui met en orbite cette révolution permanente des formes. Outrar partage ceci avec la lumière, dans son interprétation quantique : ce qui a lieu est à la fois corpusculaire par ces figures individuées attrapées comme des papillons, et ondulatoire par sa modulation énergétique déployant sa vitalité bienfaisante dans le temps. Aidé en cela par une bande son immersive et atmosphérique, Volmir Cordeiro évolue comme un immense bourdon, vibrionnant, insaisissable, enroulé dans ses multiples peaux colorées, robes, couvre-chefs, slips, portés les uns sur les autres, dans une multiplicité d’imprimés et de couleurs n’attendant que leurs mues. À l’instar de cet insecte, zigzagant de façon imprévisible comme une autre manière d’être vivant, nul doute préférable à la prévisible et tragique ligne droite humaine qui, elle, fonce droit dans le mur, Volmir Cordeiro féconde de sa danse l’espace, l’ouvre à de nouvelles potentialités poétiques, et, quittant toute logique économe, se place sous le régime de la dépense (au sens de Bataille). L’exubérance comme un feu de joies et de peines et de paille qui enflamme les muscles profonds de notre cœur. Alors que les discours identitaires mortifères emplissent le monde comme une montée de vase brune, Outrar fait poétiquement et politiquement œuvre de bienfaisance, captant dans l’intranquillité chère à Pessoa le motif d’une métamorphose perpétuelle, joie pure puisant aux sources de la vitalité.

 

© Werner Strouven (RHoK)

 

Outrar, sur une invitation de Lia Rodrigues

Chorégraphie, interprétation, costumes : Volmir Cordeiro

Regard précieux : Bruno Pace

Conception du projet : Lia Rodrigues en étroite collaboration avec les artistes de sa compagnie de danse : Amalia Lima, Leonardo Nunes, Carolina Repetto, Valentina Fittipaldi, Andrey Silva, Larissa Lima, Ricardo Xavier

 

Du 3 au 5 avril 2025, à 19h sauf samedi 18h

Durée : 30 minutes

 

Ménagerie de verre

12/14 rue Léchevin

75011 Paris

Tel : 01 43 38 33 44

https://www.menagerie-de-verre.org

 

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