© vincent Pontet
fff article de Denis Sanglard
Osons le dire, l’affirmer même, Jean-Philippe Rameau ça swingue sévère. Grace à un jeune homme de 80 ans, William Christie, tout à son affaire ici. Qui de la partition des [les]Fêtes d’Hébé, opéra-ballet, donne une version dynamique, vive et sacrément rythmée, aux nuances raffinées, infiniment moirées et chatoyantes. Il faut le voir dans la fosse diriger d’une main souple et ferme à la fois, sourire en coin, Les Arts florissants, en extraire mine de rien un véritable feu d’artifice, une explosion de couleurs éclatantes et de Rameau rendre quelque chose de profondément vivant… Une partition enthousiasmante qui réunit la musique, la danse et le théâtre que les chanteurs, complices de longue dates du maître exhaussent avec un talent, une maîtrise et un enthousiasme certain. Emmanuelle de Negri (Hébé, la Naïade), Léa Desandre (Sappho, Iphise, Eglé) et Ana Vieira Leite (l’Amour, le Ruisseau, une bergère) en tête, aussi à l’aise dans le chant que le jeu, d’une maîtrise qui époustoufle et vous emporte, participant grandement à cette ambiance électrique et joyeuse. Marc Mauillon (Momus, Mercure) à l’aise vocalement et dans l’incarnation particulièrement de Mercure qu’il porte haut. Et Renato Dolcini (Hymas, Tyrtée) convainc de même. L’ensemble de la distribution, emmenée par William Christie, porte cet opéra avec un talent monstre et vertigineux, démontrant sa richesse et combien il participe du génie de son compositeur.
Les Fêtes d’Hébé, oeuvre si peu jouée, ce sont les plaisirs de la seine enchantée. Musicalement s’entend. Car pour la mise en scène c’est le désenchantement, loin d’un embarquement pour Cythère. Robert Carsen signe une création scénique sans relief, accumulant poncifs et gags poussifs. Tout commence par Hébé au palais de l’Elysée, notre Olympe français, renversant sur la robe blanche de Brigitte Macron un verre de vin rouge, illico chassée par Jupiter, Emmanuel Macron lui-même. Convaincue par Momus, le dieu de la raillerie et des plaisirs, de séjourner chez les mortels, et par l’Amour de s’établir sur les bords de Seine, Hébé s’enfuit, en vélo, et s’installe sur les quais de Paris. Nous voilà donc, avec transats, palmiers et guinguette, en plein Paris-Plage. Là, entre le quai de la mégisserie et l’île Saint-Louis, avant de terminer sur un bateau-mouche, Hébé invite les muses à mettre en scène en trois tableaux successifs les talents lyriques que sont la poésie, la musique, et la danse. Et dans cette volonté de désacraliser la mythologie (revisitée) du XVIIIème siècle, ce qui en soi sans être innovant peut être intéressant du point de vue dramaturgique, de la mettre au diapason de notre époque ultra-connectée, Robert Carsen accumule les clichés rebattus. L’Amour est une instagrameuse, nymphes et grâces sont rivées sur leur portable, Mercure arrive en moto (électrique, c’est plus écolo) et, DJ, s’installe aux platines pour animer une teuf d’enfer, le roi Hymas est un CRS (clément, quand même !). Et la bataille qui opposent lacédémoniens et messéniens menaçant le mariage d’Iphise et de Tyrtée se résume à un match de foot où ne manquent ni bière ni supporters déchaînés et retransmis comme il se doit en direct et sur grand écran…
Pour les ballets, délicat et épineux problème toujours dans une œuvre opératique, qui se doivent d’être signifiant et ne pas paraître combler un vide dramaturgique mais au contraire y être intégré, ce qu’ils sont par nature, rien qui ne marque vraiment, bien au contraire, hélas. Le chorégraphe Nicolas Paul louche éhontément sur la vague krump, hip-hop et voguing, qui fit le succès incontestable de Bintou Dembélé dans les Indes Galantes, un geste chorégraphique inspirée, décalée et génial, mais ne parvient pas à ce niveau de maîtrise et le résultat ressemblant plus à un maladroit pastiche fait flop. Léa Desandre a beau s’essayer à quelques pas inspirés des chorégraphies de Pina Bausch, cela ne fonctionne pas, semblant plus plaqué qu’inspiré. Soulignons quand même l’enthousiasme des chanteurs relevant le défi de s’intégrer aux ballets, particulièrement dans le troisième tableau, qui, mea culpa, fonctionne davantage.
Jean-Philippe Rameau et William Christie résistent cependant haut la main et vaillamment à cette mise-en-scène peu inspirée et triviale qui dessert cet opéra enchanteur plus qu’il ne le sert. Mais le formidable allant des chanteurs, chœur des Arts Florissants inclus, leur bonheur convaincu et joyeux à défendre cette partition lumineuse si peu jouée, s’il n’oblitère pas le travail du metteur en scène, arrivent à nous arracher à cette vision convenue et sans charme.
© Vincent Pontet
Les Fêtes d’Hébé, opéra-ballet de Jean-Philippe Rameau
Livret d’Antoine-César Gautier de Montdorge
Direction musicale : William Christie
Mise en scène : Robert Carsen
Décors et costumes : Gidéon Davey
Lumières : Robert Carsen et Peter van Praet
Chorégraphie : Nicolas Paul
Vidéo : Renaud Rubiano
Assistant à la direction musicale e chef de chœur : Thibaut Lenaerts
Assistant musical : Emmanuel Resche-Caserta
Assistant aux costumes : Marion Bresson
Assistant à la chorégraphie : Anna Konopska
Conseillère linguistique : Emmanuelle de Négri
Chef de chant et continuo (clavecin) : Florian Carré
Chef de chant : Marouan Mankar-Bennis
Avec : Emmanuelle de Négri, Lea Desandre, Ana Vieira Leite, Marc Mauillon, Renato Dolcini, Cyril Auvity, Lisandro Abadie, Antonin Rondepierre, Matthieu Walendzik
Les danseurs, danseuses : Anli Adel Ahamadi, François Auger, Ambère Aurivel, Pauline Bonnat, Serena Bottet, Jeanne Cathala, Louise Demay, Paul Gouven, Alexandra May, Antoine Salle, Lara Villegas, Guillaume Zimmerman
Chœurs et orchestre : Les Arts Florissants
Du 13 au 21 décembre 2024
Durée 2h50 environ
Opéra-Comique
Place Boieldieu
75002 Paris
Réservation : www.opera-comique.com
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