© Vincent Zobler

ƒƒƒ article de Denis Sanglard

Il était une fois… Si un prince quelque fois peut épouser une bergère, une princesse peut bien épouser un porcher. Seulement voilà, dans les contes rien n’est jamais simple. La princesse Henriette, au caractère bien trempé, ne peut épouser son Henri. Promise au roi voisin, véritable tyran, elle n’a pas d’autre choix que d’obéir aux ordres paternels qui exigent un mariage de même rang. Oui, mais le rusé et intelligent Henri, pourtant banni, aidé de son ami Christian, va déployer mille ruses et stratagèmes pour épouser sa princesse. Surtout il va mettre à bas le tyran, le mettre littéralement à nu, rendu ridicule aux yeux de son peuple cruellement asservi, lequel retrouve ses droits et sa liberté. Et Henriette d’épouser son Henri.

Ecrit en 1934, Le Roi nu tresse trois contes d’Andersen. La Princesse et le Porcher, La Princesse au Petit Pois, Les Habits neufs de l’Empereur. L’écrivain, dramaturge et journaliste russe Evgueni Schwartz (1896-1958), aussi malin qu’Henri, par cette fable caustique met à nu lui aussi la tyrannie contemporaine. Ce roi vaniteux, ce despote cruel, entouré d’une cour servile et volontairement aveugle, c’est aussi bien Staline qu’Hitler. « Je n’écris pas un conte pour dissimuler une signification, mais pour dévoiler, pour dire à pleine voix, de toute mes forces, ce que je pense. » Magie et ironie des contes d’être universels et intemporels, aujourd’hui naturellement nos yeux décillés par ce conte se tournent vers Trump, Poutine, et leurs confrères confis d’autoritarisme, apprentis fascistes convertis à l’ultra-libéralisme, ce faux-nez qui n’est que nouvelle dictature. La naïveté des contes n’étant qu’une vérité sans fard, aussi nue qu’un roi dépouillé, point n’est besoin de filtre, de fatras dialectiques pour comprendre toute la charge satirique et politique derrière le merveilleux contenue dans cette pièce abrasive et d’une lucidité imparable. C’est une pièce pour adulte mais pour qui n’a pas oublié son regard d’enfant. Ode à la persévérance aussi, où l’erreur et l’obstination peuvent être le corolaire de la liberté. C’est peut être ça, cette liberté absolue, résolue et têtue, la résistance face à la tyrannie, que représentent Henri et Henriette.

Sylvain Maurice l’a bien compris qui, le texte en avant et le conte au cœur, met en scène cette pièce avec simplicité, rigueur et épure. Une ligne claire et joliment colorée, illustrée musicalement de petites notes pimpantes, une partition sautillante jouée en live par deux musiciens complices. Point de décor, plateau nu traversé de quelques praticables, escaliers mobiles, parcouru au galop par une troupe à l’unisson, où le « nouage », mélange d’amateurs et de professionnels, fait encore merveille. Sylvain Maurice n’ajoute ni ne retranche, le conte se suffisant à lui-même, adopte une littéralité volontaire et heureuse traversée d’inventions poétiques et ludiques, parfois loufoques, qui jamais ne se déroute du texte de Schwartz traduit par André Markowicz. Explose ainsi toute la charge corrosive et retorse de cette fable.

On aime ces petits cochons, drôles de trolls montagnards affublés d’un groin, ces dames de compagnies en fleurs aussi raides que leur jupes en corolles, cette cour royale, hypocrite, duplice et terrorisée, ce fou catatonique, cet impayable ministre « des tendres sentiments » et bien évidemment Henri, Henriette et le Roi. Sans oublier Christian, ami et complice, sans qui Henri ne pourrait pas atteindre son but. Une direction d’acteur au cordeau où nul ne tombe dans la caricature, dans la bouffonnerie, mais au contraire sont d’une justesse épatante et sans défaut. Manuel Le Lièvre campe un roi magistral, potentat histrionique narcissique et toupillant, toujours en mouvement, toujours en représentation, arrogant, fat, d’un naturel troublant dans l’abjection et la conscience d’un pouvoir qui ne tient que par « un miracle » et surtout l’assujettissement d’un peuple considéré comme imbécile. Avec ça une garde-robe à faire pâlir Anna Wintour. Il est drôle, aussi drôle qu’inquiétant – cette duplicité fait froid dans le dos – et son discours obscène et vulgaire, sans emphase jamais, n’en demeure pas moins violent. Ici on interdit les mariages mixtes, les langues étrangères et brûle les livres sans distinction.

Dans ce lieu qui fête son jubilée, ce théâtre de bois unique, 130 ans d’une utopie toujours vive initiée par Maurice Pottecher, où le terme de Théâtre Populaire (« Par l’art, pour l’humanité » inscrit au fronton du manteau d’Arlequin pour devise) prend toute sa valeur, encore plus aujourd’hui où la culture devient une variable d’ajustement et se trouve menacée de finir reléguée au camping, le conte d’Evgueni Schwartz a trouvé son écrin tout naturel. Où l’on retrouve perpetué aujourd’hui par Julie Delille, la force et la volonté ferme de ce lieu, cet idéal pérenne d’un théâtre engagé, exigeant dans le choix de son répertoire, toujours adapté au lieu, et qui rassemble. Où « L’Essentiel n’est-il pas de croire qu’on peut bien faire quand on veut faire bien ? » Maurice Pottecher.

 

© Vincent Zobler

 

Le Roi nu, d’Evgueni Schwartz, mise en scène et scénographie de Sylvain Maurice

Traduction de André Markowicz

Composition originale : Laurent Grais et Dayan Korolic

Lumières : Rodolphe Martin

Costumes : Fanny Brouste

Collaboration à la mise en scène : Constance Larrieu

Collaboration à la scénographie : Margot Clavières

Assistance aux costumes : Peggy Sturm

Régie générale : Alain Deroo

Administration / production : Delphine Teypaz

 

Avec : Nadine Berland, Maël Besnard, Mickaël-Don Giancardi, Manuel Le Lièvre, Hélène Rimenald, Michèle Adam*, Flavie Aubert*, Astrid Beltzung*, Jacques Courtot*, Hugues Dutrannois*, Betül Eksi*, Eric Hanicotte*, Igor Igrok*, Fabien Médina*, Denis Vemclefs*, Vincent Konik*

Musiciens : Laurent Grais, et Dayan Korolic

*membres de la troupe 2025 des comédiens.nes amateurices du Théâtre du Peuple

 

Du 19 juillet au 30 août 2025

Du jeudi au dimanche à 15h

Durée 3h avec entracte

 

Théâtre du Peuple

40 rue du Théâtre

88540 Bussang

 

Réservations : 03 29 61 62 47

www.theatredupeuple.com

 

Le Théâtre du Peuple fête son jubilée, Jubilons ! toute la programmation de cet évènement sur le site : theatredupeuple.com