A ceux qui pensent que philosophie du IV siècle av JC, rime avec vieilleries éculées et déconnexion du réel, Nicolas Liautard oppose un Banquet où désir et amour de la sagesse se marient ; traité de façon incroyablement moderne, vivante et humaine, son Banquet touche toutes les générations, y compris les plus jeunes qui rient de ces personnages souvent ridicules, notamment Aristophane (Maia foucault, impayable en poète comique  avec sa célèbre théorie des androgynes coupés en deux par les Dieux et recherchant leur moitié) si drôle,  qui hoquette, et éternue sans cesse. A la fin on pleure face au magnifique éloge de Socrate par Alcibiade qui, complètement aviné, déboule simplement et assume son désir pour le sage quand les autres convives se voulaient purs esprits. Vingt-quatre siècles avant Lacan, Socrate (incarné par Sarah Brannens, maïeuticienne hors pair) dessine, au-delà des beaux discours, ce qui est  le vrai visage d’Eros, pour les pauvres humains, l’amour comme désir et comme manque. Avec Alcibiade (remarquable Emilien Diard-Detoeuf) revient la véritable ivresse de la parole, un désir qui n’est pas que celui de l’esprit, la vie, l’amour, la frustration dans un monde où déjà les dieux cèdent le pas et où commence la solitude de l’homme moderne. De simple jury, le public devient récepteur d’une parole, disciple d’un philosophe qui élargit la définition de l’amour comme élévation jusqu’à la connaissance unique du beau, dépassement de soi.   

Dans ce banquet de mots on privilégie l’esprit pour traiter du désir ! Imaginez une soirée entre copains bien arrosée. A Athènes, Agathon (Jade Fortineau à l’élocution parfaite avec son air de Madame je sais tout) qui a gagné un concours de tragédie, réunit quelques amis pour fêter cette victoire. Au bout d’un moment, fatigués de boire et de jouer au ping-pong, les convives décident de se lancer dans une joute philosophique pour célébrer Eros. Chacun s’y essaye dans un espace bi frontal, une sorte de gymnase, Pausanias (Célia Rosich, impeccable avec sa faconde un brin docte et son humilité de façade) ouvre le feu. A l’époque de Platon les gymnases ne sont pas ces « temples du muscle fitness » pour fous de gonflettes esseulés, ils servent de lieux de rencontres politiques, religieuses et culturelles.

Quel bonheur, ce jeu choral rassembleur, ce plaisir à penser, y compris contre soi-même, distillé avec lucidité, espièglerie, immédiateté, dans l’intensité de l’instant par une troupe solidaire sur la musique de santour basse de Mahdokht Karampour. La philosophie nous réunit quand aujourd’hui la politique divise. Les Grecs recherchaient la vérité, quand de nos jours on a surtout envie de mettre l’adversaire au tapis au détriment du raisonnement, de l’écoute. Voilà peut-être la grande leçon de ce spectacle qui ressuscite un philosophe d’utilité publique a l’heure des clashs, du buzz, des lynchages sur les réseaux sociaux, quand la parole est vidée de son contenu. Ici la parole est théâtrale, elle force le respect.

Comment vient-on à la philosophie ? Par quelles voies ? A travers quels hasards, quelles nécessités, quels chemins d’existence ? philosopher c’est donner du sens à sa vie quand tout fout le camp. Les metteurs en scène Nicolas Liautard, Magalie Nadaud, et leurs complices font de ce dialogue philosophique vieux de plus de deux millénaires, une virevoltante machine théâtrale d’aujourd’hui qui parlera à tous les publics.

Le Banquet, texte de Platon

Mise en scène : Nicolas Liautard, Magalie Nadaud

Costumes : Sara Bartesaghi, Simona Vera Grassano

Son: Nathan Avot

Photo : © Christophe Ballard

Jusqu’au 21 décembre 2025, du mardi au samedi à 20h, dimanche à 16h

Durée : 1h 50

Théâtre de la Tempête

Cartoucherie, route du Champ-de Manœuvre

Paris 75012

Réservation : 01 43 28 36 36

www.la-tempête.fr