Fini de rire ! Enfin presque. Les chiens de Navarre après avoir attaqué salement la famille (Toute le monde ne peut pas être orphelin), étrillé l’identité nationale (Jusque dans vos bras) et l’impact de l’état du monde sur la psyché humaine (La vie est une fête) aborde aujourd’hui un sujet délicat, les violences sexuelles et sexistes. Depuis La vie est une fête on pressentait chez ceux-là qui aboyaient si fort et mordaient jusqu’à l’os les sujets auxquels ils s’attaquaient avec jubilation une crise de la quarantaine qui semblait en finir avec leur côté volontairement potache et trash auquel ils se raccrochaient quand même. Il y avait là un regard moins caustique, une sensibilité nouvelle et pour nous innacoutumée. Avec I will survive c’est un nouveau questionnement qui surgit, une prise de conscience qui semble les concerner directement et dont ils prennent acte sans contrition. Peut-on rire de tout ? De leur part c’est un peu culotté se dit-on au vu de leur passif qui ne s’embarrassait guère de toute métaphysique. Pour une mauvaise blague machiste et franchement conne sur les femmes battues un humoriste se voit évincé de l’antenne et, plainte étant déposée par diverses associations féministes, entre autre, se trouve être en attente de son procès. Se superpose à cela un deuxième récit, un deuxième procès, celui d’une femme ayant tué son mari après trente ans de coups et de viols conjugaux. Toute ressemblance n’est pas fortuite ici qui s’inspire largement de faits d’actualités (l’affaire Jacqueline Sauvage, graciée par François Hollande et le départ de Guillaume Meurisse de France Inter). Et ces deux récits s’emboitent plus qu’ils ne se répondent, cette blague idiote révélant les fractures d’une société où 95% des femmes battues et violées ne sont pas entendues par la justice française, que sur cent affaires, cinq seulement aboutissent à une condamnation et que la France ne reconnait pas le syndrome de la femme battue, cette « peur gelée » qui sidère les victimes, les empêche d’agir jusqu’à l’explosion. Où elle se tue, où elle tue comme l’explique ici l’avocat de Cécile Gallot, notre victime et accusée.
Jean-Christophe Meurisse et sa meute, cette dernière toujours convaincante, n’y vont pas par quatre chemins et c’est frontalement et cash, qu’ils décrivent le calvaire de Cécile Gallot jusqu’au meurtre – le terme à son importance ici – de son mari après un ultime viol. Des faits bruts, un engrenage qui mène à l’irrémédiable. La peur qui vous cisaille à porter plainte, l’inaction et l’incompétence d’une police qui n’en a rien à foutre – c’est l’heure de l’apéro – et vous culpabilise d’une « simple scène de ménage », vous renvoie chez vous, la lenteur de la justice, l’impuissance d’une directrice d’école devant les faits qu’elle devine, le viol et le meurtre, le procès qui met à nu les mécanismes d’une violence sociétale ordinaire et enfin la grâce présidentielle, pas pour elle, non, mais cyniquement pour des raisons électorales. Et en parallèle la prise de conscience d’un humoriste qui ne comprend pas de prime abord ce qui lui arrive, un vrai crétin pris au piège de ses propres mots, qui ne sont que l’expression d’une cécité sur les fractures d’une société où la parole se libérant, le monde se clivant, si l’on peut rire de tout peut-on occulter d’une saillie verbale les victimes d’une réalité souvent tragique ?
Dans ce nouvel opus, Les Chiens de Navarre ne cessent de penduler entre le burlesque et la tragédie, l’outrance et l’émotion et parfois dans une même séquence qui voit deux registres de jeux se confronter. La scène du commissariat ou bien encore du procès à ce titre est d’une ambiguïté malaisante. Un sale malaise qui persiste au long de cette création sur le fil du rasoir. Doit-on rire de ces officiers de polices bouchés à l’émeri, bas du front et préoccupés par leur apéro, où être dans l’empathie devant la détresse de Cécile Gallot ? Devant les avocats de la défense, impeccables dans leur discours tout aussi impeccables, rire d’un procureur, le diable en personne – au réel – malgré une plaidoirie terrifiante contre Cécile Gallot ? Certes appuyer le trait et la satire des contempteurs de Cécile Gallot est une volonté claire, assumée semble-t-il, d’accentuer davantage la tragédie de cette dernière. Mais le rire s’étrangle – quand on rit, et pour notre part jamais – et franchement la caricature est convenue qui tape sur un registre sans originalité et qui en oublie la complexité systémique parfois des responsabilités. La catharsis propre au théâtre s’enraye non par le sujet même mais par ce traitement par trop systématiquement binaire et manichéen comme si entre deux registres Jean-Christophe Meurisse n’avait pu ou su choisir, n’osant pas lâcher un répertoire sur lequel on l’attend, cet os qu’il rongeait jusqu’à la moëlle depuis Une Raclette, à en devoir jouer les équilibristes au risque de la chute. Bref à ménager la chèvre et le chou Jean-Christophe Meurisse reste au milieu du pré, nous lâchant au ras-des-pâquerettes, et finit par troubler les enjeux dramatiques d’une pièce qui aurait mérité, comme la scène du procès, d’être davantage concentré sur son sujet et sa violence endémique. D’autant plus qu’il perd en route la question posée des limites de l’humour, sinon que la pièce elle-même et paradoxalement les atteint, question qui au final reste en périphérie et à laquelle nulle réponse ne semble être apportée, sinon par Cécile Gallot elle-même, que « cette blague fut très conne ». C’est tout, se dit-on ? Et l’apparition de Coluche dans un cauchemar de notre humoriste, comme une caution ou un héritage où il serait possible de rire de tout, est plus que maladroit sinon retors.
C’est un ballet incongru de majorettes, costumes ad-hoc, sur I will survive en guise de salut qui soudain fait se rappeler à nous combien l’art du décalage faisait l’identité des Chiens de Navarre. Là, cela fait tristement flop. I will survive, sans doute est-ce là la réponse de Jean-Christophe Meurisse à son endroit. On le souhaite.

I will survive, mise en scène de Jean-Christophe Meurisse
Collaboration artistique : Amélie Philippe
Avec : Delphine Baril, Lula Hugo, Charlotte Laemmel, Anthony Paliotti, Gaëtan Peau, Georges Slowick, Fred Toush
Scénographie : François Gauthier-Lafaye
Régie générale et régie plateau : Nicolas Guellier
Création et régie lumière : Stéphane Lebaleur
Création et régie son : Pierre Routin
Création et régie costume : Sophie Rossignol et Corinne Paupéré
Régie plateau : Anouck Dubuisson
Regard chorégraphique : Céleste Vinot
Vidéo : Baptiste Klein
Photo : © Fabrice Robin
Du 4 au 13 décembre 2025
Mardi, mercredi, vendredi à 20h, jeudi à 19h, samedi à 17h, relâche le dimanche 7/12 et le lundi 8/12
La Villette, Grande Halle
211 avenue Jean-Jaurès
75019 Paris
Réservation : 01 40 03 75 75

