© Agnès Mellon
ƒƒ article de Marguerite Papazoglou
XYZ ou comment parvenir à ses fins, trois lettres en bâtons et l’annonce d’une fin — « j’arrête » écrit Georges Appaix dans le folio publié qui accompagne cette création. ça commence par une entrée en matière sublime de compacité de ce qui s’ensuivra : un A qui tombe — A la lettre, dans une police classique, imposante et lourde — un A concomitant d’un « Ah ! » comme pour dire « quoi ! ça s’arrête ? » ou « au secours ! », Ah ! le son de la voix bouche ouverte, A c’est-à-dire l’alpha de ce qui est annoncé comme l’oméga de l’œuvre chorégraphique de La Liseuse (pas pour rien ce nom !). En un instant s’ouvre le champ de son univers labyrinthique, tout en échos, miroirs, feuilletages, jeux de mots, trappes et trouvailles, où bien malin celui qui n’en sortirait pas étourdi. Oyez la suite : « A c’est l’alphabet, c’est le début de l’alphabet et Antiquité était presque au début de cette histoire entre Agathe et l’Arrière-salle et Affabulations, une certaine obstination pour le A ! Début c’est D et D c’est, entre autre, le dialogue mais aussi Denis et Diderot, et Diderot a écrit la leçon d’harmonie de Basta ! et Basta ! c’est la lettre B, comme Bach. C’est tout bête ! Ce qui conduit à la lettre M de musique mais aussi de mouvement, et la lettre M sonne comme le mot aime qui commence lui par la lettre A ». Tout y est ! les relais de voix et de mouvements, la folie, l’humour, la virtuosité rythmique, la légèreté — comme celle de la laitière de La Fontaine, qui s’invite un peu plus tard, sortie d’Affabulations — la répétition, renvoi d’une pièce à l’autre ou réminiscence, avec la leçon d’harmonie qui se finit sur la répétition de « arrête ! », comme Basta ! et comme « parvenir à ses fins. » Car bien que se réclamant de la légèreté, Georges Appaix est un obstiné, alias un dévoué et un amoureux, jamais il n’abandonne. D’ailleurs, le O c’est l’obstination ! Celle de mettre en scène des corps qui dansent et qui parlent, alternativement, en même temps, naturellement, artificiellement, dans une musicalité tonale ou rythmique, des voix uniques ou brouillées dans le collectif, des mots signifiants ou/et perdus dans la matière, des corps avec des sons, une démarche artistique en compagnonnage avec la littérature et les expériences de la musique contemporaine — où l’on pense inexorablement aux partitions de Georges Aperghis, avec un A, comme « Ah ! Misère ! », passage de l’Odyssée que les danseurs en ligne déclament, mettant en danse les variations de phonèmes explorées par le compositeur, dans Antiquité et jusque dans XYZ.
« Mélanie » danse, son prénom apparaît dans une écriture manuscrite lumineuse, puis la chorégraphie s’enrichie d’un second danseur et nous lisons par dessus « Romain » dans une autre police, puis un troisième, c’est « Georges », et au-delà du trio, on ne peut plus lire ; les éléments s’enchevêtrent dans une pluralité, à lire autrement. Arrive E comme Écrire, qu’est-ce qu’écrire justement sinon accumuler les signes tout en inventant du lisible ?
La bande son, les scènes, les gestes sont une merveille kaléidoscopique, imbrications d’improbables cohérences. Appaix joue des interférences et sans cesse la musique questionne la danse. Il cherche les larsens se produisant lorsqu’on rapproche suffisamment les sons et les mouvements sur une même partition rythmique. Relais syncopés et simultanéités virtuoses, la précision incisive du découpage du temps célèbre l’instant. Fragments apparaît avec les lettres de la scénographie comme le maître mot de cette esthétique du montage. Les ruptures ont des bords acérés où la trame est à nu. Autorisation infinie ; il n’y a pas de limite bienséante à l’accueil des matériaux utilisés. C’est le jeu qui l’emporte sur l’importance que se donnent « [l]es grands faiseurs de protestations » et c’est la générosité qui guide la liberté — Alceste en sous-texte avec Bach, c’est bien trouvé !
La fin précipitée de l’abécédaire n’est ni achèvement, ni point d’orgue mais une certaine circulation dans le temps et dans un champ qui reste ouvert à l’exploration : celui d’une recherche inlassable Vers le protocole de la conversation ; une œuvre multiforme ; une belle façon de (ni) marquer la fin (ni) parvenir à ses fins, points de suspension. Une pièce qu’il faut absolument aller voir quand bien même ce serait la première ! Jouissive, chaleureuse et humaine.
© Agnès Mellon
XYZ ou comment parvenir à ses fins de Georges Appaix – La Liseuse
Conception, mise en scène & textes Georges Appaix
Chorégraphie Georges Appaix avec la participation des interprètes
Création environnement sonore Olivier Renouf, Éric Petit, Georges Appaix
Création lumières Pierre Jacot-Descombes
Scénographie Madeleine Chiche et Bernard Misrachi – Groupe Dune(S) et Georges Appaix
Costumes Michèle Paldacci et Georges Appaix
Conception vidéo et site web Renaud Vercey
Graphisme Francine Zubeil
Conception et textes publication Christine Rodes et Georges Appaix
Avec Georges Appaix, Romain Bertet, Liliana Ferri, Maxime Gomard, Maria Eugenia Lopez Valenzuela, Carlotta Sagna, Melanie Venino
Du 4 au 17 février 2020 à 20 h
Durée 1 h
Maison des Arts de Créteil
1 Place Salvador Allende
94000 Créteil
Réservation au 01 42 74 22 77 et 01 45 13 19 19
www.theatredelaville-paris.com
www.maccreteil.com
Tournée
Le jeudi 9 avril à 20 h 30 à Tours
Centre Chorégraphique National – Tours
Salle Thélème, Université de Tours
Réservation au 02 18 75 12 12 et 02 47 36 64 15
www.ccntours.com/saison/georges-appaix-la-liseuse-marseille
Le mardi 19 mai à 20 h 30 à Aix-en-Provence
Théâtre Le Bois de l’Aune
1bis, place Victor Schœlcher
13090 Aix-en-Provence
Réservation au 04 88 71 74 80
www.boisdelaune.fr
Du 26 au 28 mai à 20 h, La Place de la Danse – Toulouse
Théâtre Garonne
1 Avenue du Château d’Eau
31300 Toulouse
Réservation au 05 62 48 54 77
www.theatregaronne.com
Le 1er décembre à 20 h 30 à La Roche-sur-Yon
Grand R – scène nationale, La-Roche-sur-Yon
Esplanade Jannie Mazurelle, Rue Pierre Bérégovoy
85000 La Roche-sur-Yon
www.legrandr.com
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