© Vincent Pontet
ƒƒ Article de Sylvie Boursier
Ah ! Werther, Werther, Werther, très surestimé ce geignard, assez sot pour déclarer à Charlotte « mon âme a reconnu votre âme », il n’arrive pas à la cheville de cette femme, à qui Christof Loy donne une place centrale en digne héroïne d’un mélodrame hollywoodien. Les codes esthétiques du genre avec un décor suranné des années cinquante aux tons pastel, vert d’eau et beige et les costumes glamour – robes serrées à la taille aux couleurs franches blanches, bleues, rouges – lui vont si bien. On s’imagine chez Capra avec ces scènes de famille à la joie surjouée sur un décorum bourgeois avant que les masques ne tombent. Marina Viotti a l’abattage d’une Julianne Moore dans Loin du Paradis de Todd Haynes, ce film sur un couple modèle, Monsieur est ingénieur, Madame s’occupe de la villa parfaitement décorée et où, un jour, Madame surprend son mari en train d’embrasser un homme. Charlotte comme Cathy Whitaker marche droit dans une vie qui n’est pas la sienne, prisonnière des conventions, une épouse que l’on voit évoluer vers une prise de conscience déchirante à la mort de Werther. La voix de Marina Viotti, tour à tour enjouée et bouleversante, se fond avec l’atmosphère surannée du mélo pour se briser dans un sanglot, le blanc éclatant de sa robe vire au rouge sang et ses efforts pour tenir son rang virent au cauchemar. Son Air des larmes confine à la poésie pure. Christof Loy a la bonne idée de donner une importance aux rôles secondaires du mari (l’excellent baryton Jean-Sébastien Bou) et de la sœur (Sandra Hamaoui à la fraîcheur de timbre incomparable) qui assistent effondrés au désastre. Les deux femmes détachent alors leur chevelure, perdent leur image et se découvrent, leur coiffure, l’éclat de leurs cheveux n’est plus assorti au décor qui les entoure. On voit l’époux compulser nerveusement les lettres du jeune homme jetées à la figure par sa femme et la sœur basculer vers la dépression, personne ne contrôle plus rien. Dommage que le metteur en scène n’ait pas poussé plus avant le contraste entre les émotions et le décorum American dream en coinçant ses acteurs sur l’avant-scène face à une porte coulissante ouverte vers un ailleurs que l’on devine sans jamais y entrer. Le tout reste un peu trop janséniste, il est vrai que Massenet n’est pas un boute en train à la Offenbach, même dans l’acte I avec les deux pochtrons Johan et Schmidt. La musique, copieusement applaudie, avec, à la baguette Marc Leroy-Calatayud, est un bonheur. Le chef bouscule, insuffle avec fougue et précision une énergie galvanisante à l’orchestre Les Siècles. Le courant fluide et ardent qu’il inspire se coule sur une orchestration de velours (Ah, ce hautbois et ces solos de violon dans un murmure de Charlotte « vous reviendrez…bientôt …tenez…à la Noël »).
Benjamin Bernheim, en Werther, est sublime. D’une aisance vocale angélique sur toute la gamme, il alterne sans difficultés légèreté et drame avec intensité et profondeur. Intelligible de bout en bout, il donne au rôle une profondeur et une humanité dont le livret d’origine était dépourvu, le tout associé à son impressionnante présence scénique. On applaudit une interprétation d’ensemble délicate, sans affèterie où la puissance vocale ne prend pas l’ascendant sur le texte.
© Vincent Pontet
Werther de Jules Massenet sur un livret d’Edouard Blau, Paul Milliet et Georges Hartmann
Mise en scène : Christof Loy
Direction : Marc Leroy-Calatayud
Scénographie : Johannes Leiacker
Costumes : Robby Duiveman
Lumières : Roland Edrisch
Orchestre : Les Siècles
Avec : Benjamin Bernheim, Marina Viotti, Jean-Sébastien Bou, Sandra Hamaoui, Marc Scoffoni, Yuri Kissin, Rodolphe Briand, Johanna Monty, Guilhem Begnier, les solistes et Chœur d’enfants de la Maitrise des Hauts- de- Seine
2h50 avec entracte
Jusqu’au 6 avril 2025 à 19h30
Théâtre des Champs-Elysées
15 avenue Montaigne
75008 Paris
Réservations : 01 49 52 50 50
www.theatrechampselysées.fr
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