Critiques // « Voyageurs immobiles » de Philippe Genty au Rond Point

« Voyageurs immobiles » de Philippe Genty au Rond Point

Mai 28, 2010 | Aucun commentaire sur « Voyageurs immobiles » de Philippe Genty au Rond Point

Critique de Bruno Deslot

Une métaphore de l’humanité

Après avoir créé Voyageur immobile en 1995, Philippe Genty et sa troupe ont parcouru le monde, il nous reviennent au Théâtre du Rond Point avec une recréation au pluriel de cette fabuleuse aventure scénique.

© Pascal François

Un univers onirique aux représentations colorées, plongent chacun d’entre nous dans une projection de soi, un voyage intérieur en terre inconnue dont le langage explorant le visuel, fait sens par sa métonymie. Huit passagers, situés bien au-delà du temps, de l’espace et de toutes frontières physiques, sont traversés par des océans, des banquises, des éruptions, des transformations balayées par des vents récurrents comme autant d’états inconscients successifs menant les Voyageurs immobiles dans les déserts arides de notre imaginaire qui ouvre sans cesse les chemins du possible. Des corps en alerte sortent des boîtes dans lesquels ils sont contenus pour voguer sur les flots d’une mer gonflées de métamorphoses. Des têtes, des jambes, des bras s’animent au gré de la houle pour réinventer un schéma corporel relevant de l’inquiétante étrangeté, de l’expérience fantasmée du rêve éveillé, porté par une magie aussi surprenante qu’inhabituelle. Enrubannés ou masqués, les corps sont érodés par une mer incertaine, mettant en lumière les strates intérieures de leur constitution. Une tête, un bras, une main, tout semble interchangeable et relayé sans cesse par l’extrême dextérité de ces huit voyageurs en perpétuels mouvements. La création, la surprise et l’étonnement sont permanents et communiqués dans un langage qui s’émancipe des codes traditionnels du théâtre pour faire de la scène le lieu de l’inconscient.

D’une mer agitée sur laquelle les cartons, estampillés d’un « FRAGILE », voguent au gré des flots, les voyageurs sont avalés, rejetés ou expulsés sans cesse vers d’autres destinations toujours plus improbables. Le bleu sombre de la houle rehaussée d’une lumière douce et exquise fait bientôt place au sépia du désert réchauffé par un clair-obscur, s’opposant à la blancheur du plastique translucide qui inonde la scène dans une éruption de début ou de fin du monde. Tout est incertain et paraît pourtant si palpable !

© Pascal François

Des personnages atypiques surgissent de nulle part pour donner vie à des formes inattendues, comme ces fœtus dont la cohabitation intra-utérine, semble bien agitée ou cette ribambelle de baigneurs miniatures bientôt emballée dans du plastique, matière souple et à la fois contraignante. Des marionnettes animées et conquérantes, progressent dans des mouvements contraires au milieu desquels un groupe ramassé de huit comédiens s’échappent, s’arrachent, s’arriment, s’abandonnent… et parachèvent une composition improbable. Le plaisir physique est total et empirique, creusant notre imaginaire comme les flots, les vents, les glaciers érodent la porosité du terrain sur lequel les voyageurs incertains découvrent des territoires en apparence inconnus et pourtant si proches de nous. Malgré les quelques raccourcis faciles, comme ce questionnement sur l’identité nationale ou la lapidation d’un corps à demi-enseveli, le voyage emprunte des chemins qui traversent l’humanité.

Nous pénétrons la profondeur des décors par l’utilisation que les comédiens font des matières échouées sur l’estran de l’irréel. Des toiles papiers et des voiles plastiques donnent du relief à l’ensemble de la composition exprimant une magie toujours plus surprenante en utilisant du kraft, matériau antinomique par excellence, rigide et souple à la fois ; la rigidité du support s’opposant à la souplesse de la forme obtenue dans une allégorie du monde, du cadre donné dont les personnages tentent de s’émanciper dans un mouvement continu et incertain. Petits textes, comptines, bribes de refrain ponctuent le silence éloquent d’un voyage que l’on pourrait envisager comme initiatique.

La danse, le corps, le rapport à l’objet sont au service de l’indicible et remarquablement bien servis par des artistes aux talents multiples (mimes, danseurs, marionnettistes…) enchaînant les scènes dans une démarche associative et faisant résonner nos paysages intérieurs dans une course haletante et magique. Du grand art dont il faut faire l’expérience pour mieux le ressentir et se l’approprier.

Voyageurs Immobiles
De : Philippe Genty
Mise en scène : Philippe Genty et Mary Underwood
Musique : Henry Torgue et Serge Houpin
Créateur lumières : Thomas Dobruszkès
Régisseur son : Antony Aubert
Plasticiens : Sébastien Puech, Carole Allemand, Sophie Coeffic et Coralie Maniez
Costumes : Victoria Desogos et Tomoe Kobayashi
Fabrications : Vincent Ruz
Répétiteur voix : Haïm Isaac
Avec : Amador Artiga, Marjorie Currenti, Marzia Gambardella, Manu Kroupit, Pierrick Malebranche, Angélique Naccache, Lakko Okino, Simon T Rann

Du 27 mai au 27 juin 2010

Théâtre du Rond Point
2 bis avenue Franklin D.Roosevelt, 75 008 Paris
www.theatredurondpoint.fr


Voir aussi :
L’article de Camille Hazard

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