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Voronia par La Véronal, au Théâtre National de Chaillot

Avr 16, 2016 | Commentaires fermés sur Voronia par La Véronal, au Théâtre National de Chaillot

ƒƒƒ article de Denis Sanglard

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© DR

Descendre au plus profond de l’homme, comprendre la nature du mal qui le ronge. Le Mal, comme le Malin, comme Dieu. L’enfer n’est pas que chez les autres, il est en nous. Un objet obscur tapi, prêt à surgir. La Veronal transpose tout ça au fond d’un gouffre, Krubera-Voronia en Géorgie, la grotte la plus profonde au monde. Mais au fond de cet abyme moquetté de rouge sang, nettoyé avec le plus grand soin mais en vain de toute saleté, danse une étrange population, soumise à on ne sait quelle autorité religieuse. Cela tient de la secte, de la congrégation religieuse obscure. De scènes en scènes, au fil d’un discours eschatologique, le mystère s’épaissit, les contradictions s’accumulent, les détails s’empilent, c’est une étrange cérémonie qui n’en finit pas de se dérouler, un labyrinthe dans lequel nous sommes projetés, tentant vainement d’assembler les pièces éparses qui tombent les unes après les autres. C’est profus mais loin d’être confus. Marcos Morau, le chorégraphe, a de la rigueur qui sait lui exactement où tout cela nous mène. De tableaux en tableaux, tous aussi intrigants les uns que les autres, qui oscillent entre la sécheresse d’un Zurbaran ou la profusion d’un Velasquez, d’un film de Kubrick ou de Visconti, bientôt nous serons littéralement et violemment éclairés.

Tout cela semble relever d’un Mystère. Un Mystère contemporain où la danse tient lieu de discours. Le « Kova », la gestuelle si caractéristique de la Véronal. Les corps sont soumis à des torsions, désarticulés à l’extrême, une impression terrifiante de conflits internes et de pressions externes, une contradiction qui les broie et les meut, les condamne aux mouvements perpétuels. C’est d’une expressivité déroutante mais fascinante. Les solos, les duos et les trios dessinent de nouvelles morphologies, métamorphosent les danseurs en d’étranges chimères. Il y a quelque chose de dramatique dans ce dérèglement des articulations qui fait exploser la danse classique et la projette, démantibulée, dans une dramaturgie bouleversante. Les ensembles tiennent de la fresque, de ces tableaux religieux à la gestuelle codée, figée dans un maniérisme outré mais qui très vite s’émiettent sous les coups de boutoirs d’un mal rampant, qui semble ronger tous le corps. C’est tout à la fois abstrait et expressionniste. Mais ce langage-là est puissant qui pave l’enfer de ces danseurs hors-pairs.

On est fasciné mais on oublie vite la virtuosité extrême, emporté par l’expression de ce qui nous éclate à la figure. Cette noirceur des âmes bien-nées. La religion en prend un sale et salutaire coup. En résumé le contrôle de celle-ci-ci sur la société, sur les hommes est la source même du mal. Et au fond de son trou, dans cette grotte aseptisée s’exerce sans contrôle, sans impunité l’absolu du mal. Paradoxe humain de l’homme qui invente Dieu pour borner son action et engendre de fait le monstre qui le dévore. L’enfer de Dante n’est rien comparé à celui de Marcos Morau. « In girum imus noste ecce et consumimur igni (nous tournons en rond dans la nuit et sommes dévorés par le feu) ». C’est cette dévoration-là, sans salut, qui est ici magistralement exprimée.

Voronia
Direction artistique et chorégraphie Marcos Morau
Assistant et conseiller artistique Roberto Fratini
Dramaturgie Pablo Gisbert (El Conde de Torrefiel)
Scénographie La Veronal, Enric Planas
Lumière Albert Faura
Directeur technique Bernat Jansà
Avec Lorena Nogal, Manuel Rodriguez, Marina Rodriguez, Giacomo Todeschi, Sau-Ching Wong, Lony Lopez, Shay Partusch, Joachim Collado

Théâtre National de Chaillot
1, place du Trocadéro – 75116 Paris
Du 13 au 15 avril 2016
20h30 les 13 et 15, 19h30 le 14
Réservation 01 53 65 30 00
www.théâtre-chaillot.fr

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