À l'affiche, Critiques // Volia Panic, Alexis Forestier, Nouveau Théâtre de Montreuil, compagnie les endimanchés, Festival Mesure pour Mesure

Volia Panic, Alexis Forestier, Nouveau Théâtre de Montreuil, compagnie les endimanchés, Festival Mesure pour Mesure

Déc 13, 2019 | Commentaires fermés sur Volia Panic, Alexis Forestier, Nouveau Théâtre de Montreuil, compagnie les endimanchés, Festival Mesure pour Mesure

ƒƒƒ article de Nicolas Thevenot

© CNES Perrine Gamot CNES Perrine Gamot

Dans la rumeur chatoyante des notes électriques — guitare, basse, boucle électronique, des femmes et des hommes en longues tuniques noires s’affairent. Comme dans un tableau de Bruegel à la lumière de paille, ils s’activent en tous sens, presque des insectes, sautillant, virevoltant, transportant l’un un boisseau, l’autre des outils, déplaçant un établi, recousant une toile. Comme dans un tableau de Jérôme Bosch, des formes étranges, organiques, aux allures de chimères développent leur rhizome sur le plateau: dans l’air, des nasses à la rondeur de mollusque, bourrées de laine vierge, des toiles de jute flottant comme des algues au bout de filins métalliques, de maigres greniers à grains sur de longues pattes d’échassier.

On est soi-même très haut perché en assistant à Volia Panic tant les territoires de la pensée qu’il cartographie nous sont inconnus et surprennent tout en nourrissant notre imaginaire. Tant il est inattendu de voir se nicher ésotérisme philosophique et mysticisme au fondement de cette extraordinaire aventure technique et scientifique qu’est la conquête spatiale.

Au début, il y aurait donc le cosmisme russe. Un courant de pensée religieux et philosophique apparu en Russie à la fin du XIXe siècle prônant le dépassement de la nature jusque-là terrestre de l’humanité en la reconfigurant dans le cosmos, projetant l’homme dans cet infini réputé inatteignable pour accéder à un nouvel état de conscience.

Volia Panic fait œuvre de didactisme en nous exposant par touches pointillistes cette pensée et cette histoire mais toujours en les articulant à l’espace d’un plateau en mutation perpétuelle, en les soutenant par une musique de scène capable de réactiver paroles et actes dans le temps de la performance, créant avec bonheur cette hybridation féérique de la théorie et de la poésie. La réussite de l’entreprise tient à la profération agissante et chantante de cette parole programmatique, la compagnie les endimanchés chevauchant avec fougue les aspirations les plus fantastiques de ces philosophes, prêtres et ingénieurs du cosmos. Quand bien même ces constructions conceptuelles pourraient heurter le cartésien qui sommeille en chacun, elles retrouvent ici leur pouvoir de stimulation, d’interrogation, leur potentialité visionnaire.

On est fasciné comme Alexis Forestier par cette histoire et cette matière, comment notamment le cosmisme s’est d’abord pensé comme aventure collective, enracinée dans la terre plutôt que dans la ville, s’inspirant de ces communautés paysannes (« mir ») vivant et travaillant en harmonie et dans le partage à la fin du XIXe siècle.

Volia Panic se construit au plateau, à l’instar du cosmisme, dans un ingénieux bricolage hétéroclite : faisant feu de tout bois, assemblant tuyau de poêle, courroie, engrenage, échafaudage de bric et de broc, la fusée se fabrique sous nos yeux. Il y a avant tout de l’artisan dans l’art comme le proclamait religieusement Romeo Castelluci dans son récent Vita nova. Volia Panic déborde de cette machinerie humaine, de cette pensée industrieuse qui en passe autant par l’esprit que par les mains, proprement dionysiaque.

Et puis il y avait cette idée énoncée dans le premier âge du cosmisme, idée qui a fait son chemin tout au long du spectacle et qui depuis ne me lâche plus, point de départ et point d’appui de toute épopée humaine me semble-t-il: la résurrection des morts. Débarrassée de son dogme religieux : la résurrection de l’humanité défunte comme le but ultime de l’humanité vivante.

Rivage sur lequel viendrait échouer toute idée de progrès qui pourtant jamais ne devrait s’en affranchir. Car c’est dans cette recherche impossible que résiderait l’impensé de toute volonté humaine.

La mort constitue son musée dans le cœur de chaque homme nous dit Volia Panik. Combien de morts reposent dans le vôtre ? Avec le cosmisme russe, l’homme quitte enfin sa mélancolie tragique et bâtit un avenir qui n’a plus peur de s’ancrer dans le cimetière des hommes. Tel un vif avenir se déroulant de l’organique au mécanique. Des paysans de la terre aux mécaniciens du ciel. Chamanique autant que scientifique. Du loup des steppes à la chienne Leika.

Pour ces fiançailles de l’intelligence et de l’imaginaire, Alexis Forestier reprend le bâton de pèlerin rêveur d’un Fernando Pessoa, invoquant à égalité la puissance du rêve et la potentialité du réel pour faire œuvre d’invention. Il nous aura convaincu que l’art est incomparablement capable de faire voyager la conscience de l’homme en des terres et des temps inconnus. L’homme augmenté c’est celui que l’art nous donne à vivre.

Volia Panic
mise en scène Alexis Forestier
conception Alexis Forestier et Itto Mehdaoui
avec Alexis Forestier, Itto Mehdaoui, Christophe Lenté, Jean-François Favreau, Barnabé Perrotey, Alexis Auffray, Perrine Cado
création musicale Alexis Auffray, Alexis Forestier, Christophe Lenté, Itto Mehdaoui
lumière et vidéo Perrine Cado
régie son Nicolas Lejonc

écriture et montage des textes Samuel Eymard, Alexis Forestier, Itto Mehdaoui
voix capsules filmiques André Robillard

Durée 1h35

Du 28 au 30 novembre 2019 à 20:00

Nouveau Théâtre de Montreuil
10 place Jean-Jaurès
93100 Montreuil
Réservation au +01 48 70 48 90
www.nouveau-theatre-montreuil.com

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