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Violente(s), de Léa Gauthier, adaptation et conseil musical Thierry Bedard, mise en scène de Sébastien Derrey, à Bagnolet – Théâtre L’échangeur

Avr 21, 2021 | Commentaires fermés sur Violente(s), de Léa Gauthier, adaptation et conseil musical Thierry Bedard, mise en scène de Sébastien Derrey, à Bagnolet – Théâtre L’échangeur

 

© Léa Gauthier

 

ƒƒƒ article de Nicolas Thevenot

Alors que le guitariste égrène quelques notes électriques, trois femmes présentent leur profil, l’une debout, engloutie dans la pénombre, à jardin, appuyée contre le mur, les deux autres, regardant la première, assises aux deux extrémités d’une table installée à cour. Dans ce tableau introductif, le profil serait cette position qui donne à voir la moitié d’un visage, d’un être, tout en omettant son autre moitié. Ce serait l’illusion de tout saisir quand pourtant demeure invisible autant que ce qui s’est révélé. Violente(s), premier texte de Léa Gauthier pour la scène, est composé de deux récits, qui, à leur manière, seraient les deux profils, depuis deux points de vue opposés, d’une même histoire se prolongeant l’une dans l’autre.

Le premier récit plonge dans les affres d’une enfance violentée par l’abandon puis la déchéance d’une mère jusqu’au drame final. Portée par Nathalie Pivain, cette parole à hauteur d’enfant, se délivre par bribes, phrases courtes, rythme découpé, avec cette acuité des mots simples qui nous fait dire que la vérité sort de la bouche des enfants (mais quelle vérité ?). Y répond le second récit porté par Catherine Jabot, celui d’une femme qui aurait voulu « dompter le temps », celui d’un corps hanté par la mort d’une sœur, elle dira : « Longtemps je me suis frappée » (Proust revisité), un corps qui alors s’oublie dans le sexe, dans les trous que le sexe fait au temps. Cette autre narration, elle, comme un long souffle, embrassant de longues portées, comme l’illusoire maîtrise d’une vie. Et finit par boucler la boucle, butant au seuil du premier récit.

Cette construction dramaturgique a son efficacité et n’est pas sans rappeler ces « anneaux », pour reprendre le terme utilisé par Daniel Mendelsohn dans son dernier et beau livre Trois anneaux, technique de récits enchâssés les uns dans les autres, s’apparentant à des digressions intempestives, indépendantes, jusqu’au moment où, refermant la boucle, les anneaux relient et donnent à relire les événements dont on avait connaissance.

L’écriture de Léa Gauthier fait dans la dentelle noire, finement crochetée, avec des expressions saillantes et contrastées (« Longtemps je ne t’ai pas nommé »), des motifs récurrents, des ellipses ajourant l’étoffe d’une histoire cousue de fils noirs. Le noir est aussi celui du coup de crayon, net, ligne claire, traçant le récit à l’aune d’un ressenti, qui est une souffrance, qui se fait violence. Un partage du sensible, qui en est une découpe tranchante, à l’emporte-pièce. Lorsque la petite fille descend les marches de l’escalier menant à la cave, c’est aussi le surgissement d’un cinéma noir (La nuit du chasseur) voire horrifique (Amityville). Le récit social s’incarne dans le genre, non pas au sens masculin / féminin, mais au sens de la forme esthétique : roman noir, épouvante. Au mauvais genre.

Thierry Bedard et Sébastien Derrey dépaysent, comme on dirait d’une enquête, ce double récit en le déployant dans le dispositif d’un concert rock. Jean Grillet avec sa guitare et Sabine Moindrot au chant convoquent, sur les traces notamment de Sonic Youth, un espace et un temps élargis.  C’est épique, somptueux, phrasé velouté ou hurlant ses prophéties. Sur cette lande crépusculaire miroitante de mille feux, le récit rejoint le récitatif. La partition textuelle en ressort stimulée, comme dépliée à une autre échelle, s’ouvrant à une subtile polysémie.

Ce dépaysement est aussi à lire successivement sur le visage des deux comédiennes. Sensiblement. Ce théâtre intime et immense où s’effectuent les mots du récit, où les marques du temps composent une autre scénographie, qui est celle de la vie, où transparaît sur le visage de la comédienne par intermittence la figure d’une autre, petite fille ou jeune femme. Un va et vient qui est un jeu, qui est magnifique. Si le théâtre est une magie, elle se trouve là : dans cette vérité de l’écart, dans ce jeu qu’il autorise et même exige (jeu au sens mécanique lorsque deux pièces ne s’emboîtent pas parfaitement).

Dans cette boucle sans fin, qui s’origine du sexe d’une femme puis se retourne dans une cave pour y faire face, l’histoire de la violence circule en vase clos, ou plus justement dit, en vase communiquant, d’une mère à une fille. Une dévoration évoquant les peintures les plus noires de Goya.

 

© Léa Gauthier

 

 

Violente(s), texte de Léa Gauthier

Adaptation et conseil musical Thierry Bedard

Mise en scène Sébastien Derrey

Son Régis Sagot

Lumières Jean-Louis Aichhorn

Musique Jean Grillet

Avec Catherine Jabot, Sabine Moindrot, Nathalie Pivain

 

Vu le 9 avril 2021 lors d’une présentation réservée aux professionnels

Durée 1 h

 

Théâtre L’échangeur

59 Avenue du Général de Gaulle

93170 Bagnolet

Adresse du site email : https://lechangeur.org/

 

 

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