À l'affiche, Critiques // Viktor, Une pièce de Pina Bausch au Théâtre du Châtelet

Viktor, Une pièce de Pina Bausch au Théâtre du Châtelet

Sep 07, 2016 | Commentaires fermés sur Viktor, Une pièce de Pina Bausch au Théâtre du Châtelet

ƒƒƒ article de Denis Sanglard

Capture d’écran 2016-09-07 à 13.27.43

© Laszlo Szito

Viktor, dont on ne saura jamais qui il est, ouvrait la compagnie de Pina Bausch sur le monde. Première étape, Rome. 1986. La compagnie plongée dans cette ville aux contrastes violents, entre ordure et beauté, poussière et lumière, passé et présent, déroule trois heures et plus durant une cartographie intime de Rome. Un parcours sinueux, effraction douce, regard acéré dans les cours pouilleuses et ruelles empuanties derrière le baroque de ces façades sublimes. Mais cette géographie du quotidien, dessine en creux, n’oublie jamais, les motifs, pleins et déliés, qui font des pièces de Pina Bausch une signature puissante, unique. La violence du monde, des rapports entre hommes femmes, l’assujettissement, des rencontres qui virent parfois à l’affrontement. Sous la douceur apparente de Rome, sa fausse indolence, son agitation réelle, sourd un étrange malaise. Machisme sous la galanterie un brin surannée, rire forcé, solitude. Solitude… Une ville, au final, tragique, engluée, empesée dans son passé, son histoire, ouverte en boitant vers la modernité. Un présent toujours amputé à l’image de Julie Shanahan qui ouvre Viktor. Vénus romaine démembrée en robe rouge, elle est le lien charnel entre ce passé archéologique têtu et le présent, les deux étroitement liés. Pas pour rien que le décor sublime de Pabst, entre tombeau ouvert et chantier archéologique, hauts murs de terre, étouffe les danseurs, coincés par l’Histoire d’une ville qui modèle ses habitants, voués eux aussi à disparaître. Les pelletés de terre jetées régulièrement sur la scène du haut de ses remparts n’expriment rien d’autre que cet enfouissement programmé. Toujours chez Pina Bausch la catastrophe n’est jamais loin… Toutes ces petites histoires du quotidien, tous ces fragments de vie volés, qui s’entrechoquent, ces danses de salons, rubans qui oscillent et vous arrachent des larmes, qui réconcilient un temps les êtres et apaisent provisoirement la violence, sont plus qu’un portrait de la ville. Ce sont des strates souterraines, dévoilées les unes après les autres, comme on fouille un chantier pour en faire une lecture. Archéologie toujours. Chez Pina Bausch, dans Viktor, les relations humaines, toujours ambigües, donnent son empreinte à la ville. Comme la ville oblitère ces relations. Il y a comme un emboitement, une corrélation étroite, intime. La ville devient le reflet, l’autoportrait sans concession de nos vies minuscules et grandioses, nos ambiguïtés et nos fragilités, nos contrastes souterrains et vitaux. Viktor, Rome, C’est avant tout un voyage intérieur où Pina Bausch et ses danseurs exhument l’inconscient, le leur et conséquemment le nôtre. L’agitation d’une salle des ventes ne peut étouffer les sanglots ravalés, la rage, d’une danseuse perdue au milieu de cette agitation et qui danse, brisée, à n’en plus pouvoir jusqu’au bord de scène autrement dit du gouffre. Les rapports amoureux, la sexualité, n’empêcheront jamais la solitude des hommes et des femmes. Ce que raconte, un conte noir et bref, Nazareth Panadero à Dominique Mercy exprime lucidement l’abime qui les sépare. Mais aussi ce qui se cache derrière la réalité où le soleil n’est qu’un tournesol fané, la lune du bois pourri. C’est aussi ça la solitude de l’homme des villes, c’est aussi ça Rome, c’est aussi ça toutes les villes que traversera le Tanztheater de Wuppertal. Les femmes peuvent s’envoler, nous offrir des petits pains beurrés, elles finiront enroulées dans un tapis, mobilier que l’on range. On pose avec élégance, mais sans culotte. On fume -beaucoup-. On parade. On frime. Mais les apparences sont des clichés, des leurres qui masquent à peinent et douloureusement les failles de l’existence, la catastrophe possible, en suspens. Les femmes ne sont que des porte-manteaux apprêtés quand elles ne sont pas elles-mêmes accrochées aux tringles. Danser sur des pointes avec légèreté et détermination a le prix d’une escalope dans chaque chausson. Le rire d’Aida Vainieri se brise inlassablement devant la grossièreté des hommes maquillée de prévenance qui la harcèlent… Tout cela ne manque jamais d’humour ni de légèreté mais grince furieusement des dents. Les images données vous traversent de leur fulgurance, de leur poésie et de leur poids d’humanité tragique. Lucidité imparable et cruauté douce de Pina Bausch. On ne saura donc jamais qui est Viktor. Mais le questionnement, le vrai, demeure toujours le même : ainsi va le monde ? Le soleil n’est-il qu’un tournesol fané ? La réponse de Pina Bausch, définitive, résonne encore : « Dansez, dansez sinon nous sommes perdus. »

Viktor, une pièce de Pina Bausch
Mise en scène et chorégraphie de Pina Bausch
Décor Peter Pabst
Costumes Marion Cito
Collaboration musicale Matthias Burkert
Dramaturgie Raimund Hoghe
Avec les danseurs du Tanztheater Wuppertal :

Emma Barrowman, Andrey Berezin, Michael Carter, Cagdas Ermis, Silvia Farias Heredia, Jonathan Fredrickson, Ditta Miranda Jasjfi/Nayoung Kim, Scott Jennings, Barbara Kauffman, Eddie Martinez, Dominique mercy, Cristiana Morganti, Blanca Noguerol Ramirez, Breanna O’Mara, Nazareth Panadero, Jean-Laurent Sasportes, Franko Schmidt, Julie Shanahan/ Clémentine Deluy, Julie Anne Stanzak, Julian Stierle, Michael Strecker, Fernando Suels Mendoza, Tsai-Wei Tien, Aida Vainieri, Paul White, Ophelia Young, Tsai-Chin Yu

Théâtre du Châtelet
1 place du châtelet
75001 Paris
Du 6 au 12 septembre 2016 à 20h, le dimanche à 16h

Réservations
01 42 74 22 77
Théâtre de la ville
theatredelaville-paris.com

Théâtre du Châtelet 01 40 28 28 40
chatelet-theatre.com

Be Sociable, Share!

comment closed