À l'affiche, Critiques // Vie et mort d’un chien traduit du danois par Niels Nielsen, texte et mise en scène de Jean Bechetoille, Théâtre la Tempête / Cartoucherie de Vincennes

Vie et mort d’un chien traduit du danois par Niels Nielsen, texte et mise en scène de Jean Bechetoille, Théâtre la Tempête / Cartoucherie de Vincennes

Sep 23, 2019 | Commentaires fermés sur Vie et mort d’un chien traduit du danois par Niels Nielsen, texte et mise en scène de Jean Bechetoille, Théâtre la Tempête / Cartoucherie de Vincennes

 

 

© Guillaume Bosson

 

 

ƒƒ article de Denis Sanglard

Une vie de chien. Il y a bien quelque chose de pourri au royaume du Danemark. Enfin, presque. Réduit là à cette famille qui se déchire à belle-dents sous le regard du chien, Sirius. Important celui-là. Bientôt remplacé par un bâtard, André. « Familles je vous hais » écrivait bravache, Gide. Jean Bechetoille reprend ça à son compte et lorgne ouvertement vers Shakespeare qui lui aussi s’y connaissait en familles dysfonctionnelles. Soit Hamlet, parce que là aussi, dans cette famille d’Elseneur, les fantômes ont leur importance. Histoire d’un deuil impossible, celui d’un frère, Vincent, probablement schizophrène, écrasé par une voiture. Suicide ? Sans doute. Mais le déni est là, tenace, qui ronge cette famille déjà déchiquetée et qui sombre encore un peu plus. Histoire de Markus, l’autre fils, parti loin pour fuir la violence familiale, un séjour à Paris pour thérapie dans un groupe de développement personnel, son retour pour élucider cette mort et ne pas sombrer, lui aussi, dans la folie qui le happe. Et Shakespeare dans tout ça ? Père dépressif chronique, voilà pour la malédiction, avec pour mantra « Ça va mal finir » et de conclure à propos de ses enfants « je vous ai fini au pipi ». Il y a mieux, c’est vrai, pour commencer dans la vie. Une sœur qui se marie quelque temps après la mort de son frère et le mari accusé de fait par Markus, en état de sidération, d’être l’assassin. Une reconstitution théâtrale de cette nuit fatale pour que la vérité surgisse. C’est un peu lâche comme lien, c’est parfaitement et drôlement assumé, mais il semble bien que vivre à Elseneur semble provoquer de certains transferts… Et tout ça sous le regard qui n’en peut mais du chien, « jamais aussi heureux que dans un milieu hostile ».

Jean Bechetoille signe et met en scène une pièce sacrement  tordue, entre tragédie et comédie, quelque peu loufoque malgré le sujet où rien de ce qui advient d’étrange, Shakespeare oblige, ne vous déroute. Explorant les névroses familiales, le traumatisme d’un deuil, le déni face au suicide, cette sidération qui vous empare, il se refuse cependant à tout pathos et distille un humour à froid qui réchauffe le tout. Et c’est bien. Toujours une juste et heureuse distance pour ne jamais plomber l’ensemble. Pas de larmes mais des hoquets de rire le plus souvent. C’est très subtil et finement amené. Une écriture parfaitement ciselée et précise qui se fait parfois merveilleusement poétique. Ah, les monologues du chien ! Parce que ce chien-là a la parole et quelle parole ! Ce chien-là c’est quelqu’un, comme dirait Raymond Devos,  et qui concentre en lui toute l’humanité, toute la fragilité, toute la bonté, voire l’innocence, qui manque à cette famille en déroute, percluse d’incompréhension et de violence, ensuquée dans son traumatisme et le déni. Mise en scène vive, alerte, sans temps mort, une ligne claire et droite faisant fi d’une chronologie des faits quelque peu secouée, Shakespeare oblige, s’amusant même de ces allers et retours spatio-temporels jamais inutiles pour la compréhension de cette pièce quelque peu cathartique. De belles idées de mise en scène, toute bêtes. Et l’ensemble est mené tambour battant, d’un même élan énergique par une troupe dirigée au cordeau qui s’empare de cette langue et de chaque personnage avec une gourmandise certaine. Ils s’amusent, le plus sérieusement du monde, tout à leur personnage, chacun à leur manière complétement cintrés, monstrueux même. Et pas de surenchère, jamais, dans la monstruosité. Terriblement humain, trop humain même dans leur névrose avec une part de mystère jamais vraiment dévoilé qui intrigue et leur donne une épaisseur certaine. On les sent jubiler de défendre cette pièce singulière et cette langue pointue, si précise. Voilà une création qui a sacrement du chien. Et quel chien (aussi) !

 

© Guillaume Bosson

 

 

Vie et mort d’un chien traduit du danois par Niels Nielsen, texte et mise en scène de Jean Bechetoille

Scénographie Carole Frachet

Lumières Vera Martins

Costumes Gaïssiry Sall

Vidéo Dimitri Klockenbring, Antoine Rosenfeld

Collaboration artistique Guillaume Gras

Avec Alice Allwright, Guarani Feitosa, Romain Francisco, William Lebghil, Laurent Levy, Nadine Marcovici

 

 

Du 20 septembre au 20 octobre 2019

Du mardi au samedi à 20 h 30, le dimanche à 16 h 30

 

 

Théâtre de La Tempête

Cartoucherie

Route du Champ de Manœuvre

75012 Paris

 

Réservations 01 43 28 36 36

www.la-tempete.fr

 

 

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