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Vie de Joseph Roulin, texte de Pierre Michon, mise en scène de Thierry Jolivet, au Théâtre de la Cité Internationale, Paris

Jan 27, 2022 | Commentaires fermés sur Vie de Joseph Roulin, texte de Pierre Michon, mise en scène de Thierry Jolivet, au Théâtre de la Cité Internationale, Paris

 

© Rémi Blasquez

 

ƒƒƒ article de Nicolas Thevenot

Je l’avais dit à Denis : Michon, je biche grave. Et comme tout passionné d’un auteur dont la rareté accentue encore s’il en était besoin l’engouement dont il fait l’objet, j’avoue être très susceptible quant à l’usage que d’autres pourraient faire de ses textes. Tout à la fois avide de telles propositions, je suis aussitôt angoissé à la seule idée du possible sacrilège. Bref, j’abordais le hall de la Cité Internationale ce lundi curieux et bardé des plus vives inquiétudes. En pareille circonstance, on s’avance avec des idées bien précises sur comment un tel texte doit être dit et comment il doit être mis en scène ; on est d’ailleurs certain que l’austérité janséniste — même si Port Royal des Champs n’est pas la porte à côté de la Cité Internationale — est la seule approche qui sied au célèbre auteur des éditions Verdier. On est pétri d’évidences.

Vie de Joseph Roulin est l’œuvre éponyme de Pierre Michon. Elle est une vie de, car il y a de la sainteté dans cette vie-là, comme dans les nombreuses autres vies minuscules que Pierre Michon exhuma et exhaussa. Ici, la vie d’un employé des postes, un original, un républicain, un rouge, un ivrogne : Joseph Roulin. Il nous serait inconnu s’il n’avait noué une fidèle amitié avec Vincent Van Gogh pendant ses années arlésiennes qui en fit le modèle de plusieurs de ses tableaux visibles aujourd’hui de par le monde. La beauté et l’émotion palpable dans le texte de Pierre Michon tiennent en grande partie au déplacement qu’il effectue du grand artiste légendaire, du génie énigmatique, vers cet homme banal qui n’y connaît rien en peinture. Quelqu’un de commun, si l’on veut bien entendre aussi dans ce terme le rêve d’une fraternité humaine. Pierre Michon dispose cette focale inversée et dresse le portrait de Joseph Roulin de la même façon que Van Gogh peignit les humbles comme s’il avait peint des rois d’Espagne.

Avec sa proposition détonante, Thierry Jolivet nous amène en terres inconnues et nous débarrasse de nos préjugés. Il nous retourne avec audace et maestria. Au dépouillement imaginé, qui était probablement une paresse et une facilité de notre part, il ose et oppose un dispositif rutilant, mouvant, technologique, débordant de couleurs, comme une cathédrale en mouvement dont les vitraux formés par les peintures de Van Gogh s’écouleraient dans des projections continues, se répercutant sur les parois et le sol miroitants. Une immersion (genre Atelier des lumières) qui pourrait s’apparenter à une faute de goût et qui étrangement y échappe complètement. En faisant le choix de mettre en regard les peintures de Van Gogh emplissant entièrement notre champ de vision, en produisant ainsi en direct les œuvres que Pierre Michon étudia pour produire son écrit, c’est comme si, pour reprendre une expression de peintre, Thierry Jolivet nous invitait à entendre Pierre Michon écrire sur le motif. Non pas une redondance, non pas une illustration, mais une puissance énergétique sous les yeux, irradiant la faconde de cette parole. Dans ce dispositif, les mots se chargent du poids de l’écriture du vivant, déploient leur monde de chair sensible.

La couleur de la voix de Thierry Jolivet, ses harmonies chromatiques, son énonciation, à grand trait ou pointilliste, faisant vibrer les mots comme des notes tenues, des arpèges, leur donnant du corps, éclaboussant l’espace, cela est prodigieux et proprement magnifique. En cela, il y a une manière chez Thierry Jolivet comme on peut le dire d’un grand peintre. Dans sa bouche, les mots, les phrases sont comme des étoiles, des dahlias aux couleurs acidulées, ébranlant leurs ondes de choc, striant la toile sonore de reflets et d’horizons indescriptibles. Thierry Jolivet nous a enivrés depuis son micro.

Deux musiciens accompagnent sur ce bateau ivre d’images la Vie de Joseph Roulin : orgue, synthétiseur, boucles électronique, percussions… Ils composent pour Thierry Jolivet des nappes sonores, des atmosphères, des sfumatos, construisant par palier des ascensions exaltantes et lyriques. Cette musique aux accents pop est un autre décentrement, une autre perspective, elle est étonnamment bienvenue. Elle concourt, comme Thierry Jolivet avec sa manière, à produire en majesté Joseph Roulin. C’est le plus bel hommage qu’il pouvait faire à Pierre Michon que de prolonger ainsi son geste révolutionnaire : mettre sur un piédestal des petites gens.

 

© Rémi Blasquez

 

Vie de Joseph Roulin, de Pierre Michon

Interprétation et mise en scène : Thierry Jolivet

Création musicale et interprétation : Jean-Baptiste Cognet et Yann Sandeau

Création lumière : David Debrinay et Nicolas Galland

Création vidéo :  Florian Bardet

Sonorisation : Mathieu Plantevin

Construction du décor : Clément Breton et Nicolas Galland

Régie générale : Nicolas Galland

 

 

Du 24 janvier au 1er février 2022

Mardi, jeudi, samedi à 20 h 30, lundi, vendredi à 19 h, relâche mercredi et dimanche

Durée : 1 h 45

 

 

Théâtre de la Cité Internaionale

17 boulevard Jourdan

75014 Paris

tel. +33 (0)1 43 13 50 50

https://www.theatredelacite.com

 

 

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